Résilience déconfinée : quelles leçons pour nos villes ?
Si le temps est venu pour certains de retourner au travail, ou pour d’autres de reprendre le chemin de l’école, il est temps pour nous de clôturer cette série d’articles urbanisme sous confinement. Pour terminer cette analyse des bouleversements urbains causés par plus de 8 semaines de confinement, la notion de résilience urbaine s’avère incontournable. Diffusées dans les grandes villes mondiales au cours des années 2010 par le programme 100 Resilient Cities [1], les pratiques de résilience urbaine ont été mises à l’épreuve durant ce confinement. Alors, comment la résilience urbaine s’est-elle illustrée en pleine crise du Covid-19, et que retiendra-t-on de cette épreuve pour rendre nos villes plus résilientes ? C’est ce que nous vous proposons de discuter dans cet ultime billet thématique.
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Le paradigme de la résilience urbaine diffusé par 100RC se caractérise par trois approches. En opposition à l’administration urbaine traditionnelle en silos, la résilience urbaine repose en premier lieu sur une approche intégrée et transversale des services urbains. Comme l’explique S. Maire (ex Chief Resilience Officer de la Ville de Paris), la résilience se veut plus ambitieuse que la gestion de crise : si cette dernière vise à rendre aux villes leur état – et donc leur vulnérabilité – d’avant crise, la résilience se veut apprenante puisqu’elle promet d’accroître sa robustesse à chaque nouveau choc. La résilience (qu’elle soit urbaine ou territoriale) est, enfin, résolument systémique à une époque où les villes dépendent d’hinterlands tentaculaires outrepassant les frontières administratives et géographiques et de réseaux d’échange de biens et de services en flux tendus.
Dans l’histoire récente de la résilience urbaine, la crise du Covid-19 est atypique : l’origine sanitaire de cette crise affecte doublement les pratiques. D’une part, elle aura élargi le spectre de la résilience. Jusque-là souvent cantonné à l’imaginaire des risques naturels ou environnementaux, le sens du concept s’est étoffé en intégrant la dimension sanitaire des crises menaçant les urbains, ce qui se traduit déjà dans les pratiques. D’autre part, l’origine sanitaire de la crise aura renoué le dialogue entre santé et aménagement [2], mettant en lumière de nouvelles synergies à valoriser pour atténuer les épidémies dans les villes : dans « l’après-confinement », la création de pistes cyclables est autant une affaire de mobilité urbaine, que de santé publique.
L’épidémie de Covid-19 a ainsi rendu évidente l’approche intégrée, apprenante et systémique promise par la résilience urbaine. Les incidences de ce paradigme sont plurielles pour nos villes, autant pour les acteurs qui les administrent et les conçoivent, que pour l’organisation spatiale ou temporelle des territoires.
La ville résiliente : une affaire collective
Une question de disciplines
Si le paradigme diffusé par le programme 100RC dans les années 2010 appelait à faire dialoguer les silos de gouvernance, il semble que la résilience urbaine ait encore besoin de disciplines aujourd’hui peu représentées dans les administrations des collectivités. Au sortir d’un confinement de huit semaines en France, le besoin de comprendre les effets de cette distanciation sociale sur le comportement des individus se fait vivement ressentir ! Les sciences cognitives, aujourd’hui absentes du paysage de la gouvernance urbaine, pourraient ainsi être légitimement mobilisées pour apporter des réponses aux problématiques d’isolement social (exacerbé par le confinement) ou de pratique de l’espace public (remise en cause par les mesures de distanciation sociale).
Au sortir du confinement, d’autres disciplines que les sciences cognitives paraissent désormais pertinentes à mobiliser pour conseiller – et pourquoi pas décider – des aménagements urbains à privilégier. Les chercheurs en épidémiologie, notamment, pourraient ainsi intégrer les mondes de la gouvernance ou de la fabrique urbaine. Si les épisodes climatiques extrêmes (comme les canicules et les crues) avaient permis aux collectivités de comprendre la pertinence des climatologues dans la fabrique urbaine, le Covid-19 prêtera logiquement aux chercheurs en épidémiologie et/ou en sciences cognitives un rôle important dans les approches de la résilience urbaine.
Une question d’échelles
Au-delà du mélange des genres disciplinaires, les professionnels de la résilience urbaine plaident également pour une plus grande transversalité des échelons de gouvernance territoriale et urbaine. Le millefeuille territorial français, si décrié, semble certes peu propice (de par son inertie) mais toutefois enclin (de par sa pluralité d’acteurs mobilisables) à l’adoption de cette approche. Mais là encore, le confinement a ouvert la voie à de nouveaux dialogues : villes, intercommunalités, départements, régions et Etat ont plus que jamais dû se concerter pour prendre des orientations communes et cohérentes (en témoigne leur capacité à avoir mis en place les TGV médicalisés dès le début du confinement ou plus récemment, la validation du RER Vélo en Ile-de-France ).
Dans la pratique de la résilience urbaine, l’intersection d’échelles administratives et territoriales est complémentaire à la transversalité disciplinaire : si cette dernière est horizontale, la transversalité territoriale est d’ordre vertical et permet aux acteurs de la résilience de jouer sur plusieurs plans et/ou à plusieurs échelles, confortant ainsi leur robustesse systémique. Une chose est claire : les canaux de communication ouverts entre collectivités et institutions en temps de crise perdureront demain et montrent que la résilience se renforce dans l’épreuve de la crise.
La ville résiliente, ville capable
L’enjeu de l’autonomie de nos territoires
Si l’origine des crises que traversent nos villes n’est pas toujours économique, le fonctionnement systémique des métropoles reporte tôt ou tard ces bouleversements sur notre économie, affectant les chaînes de production et de distribution de biens et de services sur le territoire. Aujourd’hui, 90% des produits alimentaires consommés en région Ile-de-France sont importés. Selon l’ADEME, en cas de rupture totale d’approvisionnement, la ville de Paris aurait une autonomie alimentaire de seulement trois jours.
Pour le géographe L. Gwiazdzinski, l’épisode du Covid-19 amène à réfléchir à une politique de relocalisation stratégique de certaines activités productives (agriculture, artisanat, tertiaire, logistique, commerces) à l’échelle d’un territoire pour renforcer sa résilience. A l’échelle de la ville, il s’agit d’assurer la bonne distribution de tous ces biens et services à l’ensemble de ses habitants par le biais de commerces de proximité et de services publics locaux. Si pendant ce confinement, la chaîne logistique a permis d’éviter des situations de graves pénuries – notamment grâce aux femmes et hommes qui ont continué de travailler pendant que notre système urbain était ralenti – la crise sanitaire remet en lumière l’importance de ramener production et distribution en pied d’immeuble.
La crise que nous traversons actuellement a mis en évidence la totale dépendance de nos villes à d’autres territoires pour subvenir aux besoins vitaux de ses habitants : l’autonomie des chaînes de production et de distribution s’imposent ainsi comme un levier majeur de résilience urbaine d’après Covid-19.
Rendre nos espaces plus flexibles
Le concept de résilience invite nos villes non pas à endiguer les catastrophes à venir mais plutôt à accepter leur potentialité comme une nouvelle normalité. Dans cette logique, une ville résiliente se doit de proposer des espaces qui s’adaptent rapidement aux besoins quotidiens, aux nouveaux usages, mais aussi aux attentes qui émergent en situation de crise. Comme l’expliquent L. Gwiadzinski, S. Grisot et B. Pradel, « bâtir des territoires résilients ne signifie pas seulement les ajuster face à la pandémie en cours, mais apprendre à rendre la ville adaptable en continu, la transformer en un système souple, multiscalaire et organisé pour réagir aux autres chocs à venir ». Cette dernière idée sous-tend l’intérêt actuel pour la ville « malléable », dont l’objectif est d’optimiser l’espace – déjà rare en ville – en favorisant sa multifonctionnalité par sa modularité spatiale et temporelle. Un parc peut servir d’espace de détente le matin, devenir place de marché le midi, mais aussi devenir un réservoir d’eau en cas d’inondation s’il est adapté. Ici, l’objectif est d’avoir une certaine souplesse dans la programmation des lieux pour que puissent se succéder, sur un même espace, différentes fonctions urbaines dans le temps afin d’éviter la multiplication des usages dans des périphéries urbaines toujours plus éloignées.
La crise sanitaire que nous traversons met en exergue ce besoin de flexibilité. Avec les règles de distanciation sociale, l’espace public tel que nous le connaissons se révèle sous-dimensionné par rapport au nombre d’habitant. On se rend bien compte qu’il nous est bien difficile de respecter des distances de 1 à 2 mètres entre chaque passant quand les trottoirs sont minuscules, préemptés par des places de stationnement, voire inexistants.
Pour répondre à ce besoin urgent d’élargissement de l’espace public, les pratiques d’urbanisme tactiques qui – en opposition à l’urbanisme dit traditionnel – ont fleuri un peu partout en proposant des aménagements souples, peu coûteux et rapides à mettre en œuvre et à désinstaller. A l’aide de simples plots, rues et places de stationnement deviennent tour à tour pistes cyclables, terrasses de cafés, ou bien même atelier de production de gel hydroalcoolique.
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La fabrique urbaine retiendra plusieurs éléments de ce confinement. Désormais liée à la dimension sanitaire, la résilience urbaine se trouve légitimée pour élargir son spectre disciplinaire et dépasser les échelles administratives pour renforcer l’autonomie des territoires dans la production et la distribution de biens et de services, tout en facilitant la malléabilité des espaces ouverts et fermés.
Sur ces perspectives stimulantes, nous clôturons cette série d’articles dédiée à l’urbanisme sous confinement. Pour autant, nous tirons les leçons de ces réflexions qui doivent, nous en sommes convaincus, nous aider à améliorer nos pratiques professionnelles et plus nécessairement, la qualité des espaces que nous aménagerons dans les années à venir. Qu’il s’agisse des déplacements, de la juste-densité, de la vie sociale distanciée, d’aménagements inclusifs, ou de la résilience urbaine, nous assistons sans doute à la fin d’une époque urbaine. Celle qui débute parviendra-t-elle à (se) relever des défis posés par ce confinement ?
Pour ne pas perdre le fil de ces réflexions, nous vous invitons à découvrir prochainement notre entretien avec E. Vilarem, co-fondatrice de [S]City. Elle nous expliquera justement comment les sciences cognitives peuvent éclairer la résilience sociale des systèmes urbains. A bientôt, donc !
Par Manon BRAULT et Alexandre MURER
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Notes et références:
- [1] Le programme 100RC a été initié par la Fondation Rockefeller après un travail prolifique sur la résilience urbaine effectué avec la Ville de la Nouvelle-Orléans (LA, USA). Il visait à apporter à 100 villes à travers le monde une aide financière et humaine à la constitution d’un « service résilience ». Après avoir accompagné 101 villes, la Fondation Rockefeller y a mis un terme à l’été 2019.
- [2] Pour en savoir plus sur le dialogue oublié entre ville et santé, lire Villes, urbanismes et santé d’A. Lévy !