« Laisser aux autorités locales, notamment aux maires et aux préfets, la possibilité d’adapter la stratégie nationale en fonction des circonstances »
Edouard Philippe, le 07 mai 2020
En s’exprimant ainsi lors de son allocution du 7 mai, Edouard Philippe a acté le principe d’un déconfinement différencié selon les territoires, reposant sur le rôle clef des élus locaux, en binôme avec les préfets de département.
Ce renforcement de l’échelon local prend place après plusieurs semaines de flottement dans le positionnement du Gouvernement vis-à-vis des élus locaux, oscillant entre l’injonction à assurer le relais de l’exécutif au cœur des territoires (Observatoire collectivités), et la limitation d’une marge de manœuvre parfois jugée contre-productive. En ce sens, les différents arrêtés municipaux obligeant au port du masque ou réduisant la distance des déplacements autorisés ont été suspendus par le tribunal administratif et condamnés par le Ministre de l’Intérieur (Le Monde).
Adapter localement la mise en œuvre du déconfinement implique pour les élus locaux, avec l’accord du préfet, de choisir d’ouvrir ou non des écoles, de décider de la tenue d’un marché alimentaire, d’autoriser l’accès aux plages ou aux espaces verts, ou encore de structurer la stratégie d’isolement des personnes malades. Alors que la responsabilité pénale des élus prenant ces décisions a suscité d’importants débats entre le Sénat et l’Assemblée Nationale (Sénat), il apparaît clairement que les élus locaux sont au cœur de la mise en œuvre du déconfinement. Pour le député Jean-René Cazeneuve, les collectivités sont également appelées à fonctionner comme « un outil privilégié pour porter la relance » (Banque des Territoires).
Alors que le rôle crucial donné aux élus locaux dans la mise en œuvre du déconfinement s’inscrit dans la dynamique de décentralisation, quelles implications ces évolutions ont-elles sur la gouvernance des territoires et la conduite de l’action publique locale ?
Planifier le déconfinement : élus / préfets : l’échine de l’action publique ?
« Le gouvernement exprime sa volonté de centrer l’organisation de la sortie de confinement autour des préfets de département et des maires et qu’il autorise des adaptations locales et de la souplesse dans la mise en œuvre du plan national ». Comme le rappelle l’Association des Maires de France (AMF) dans son communiqué du 28 avril 2020, le binôme préfet de département et élu local a vocation à fonctionner comme le rouage central du déconfinement. S’appuyer sur les préfectures départementales s’inscrit pourtant « à rebours » de la dynamique récente durant laquelle l’affirmation des préfets de région a participé à l’érosion de leurs homologues de département (La Gazette des Communes). Si la majorité des élus se réjouissent du renforcement du binôme « préfet de département / élu » (Le Monde), certaines inquiétudes se font néanmoins sentir face aux futurs rapports de force entre les préfets et les élus, comme le rappelle Christophe Bouillon de l’Association des Petites Villes de France (APVF), évoquant
« la nécessité que se mette en place dans chaque département un vrai dialogue entre les préfets et les maires, ce dialogue ne devant pas se faire sur le mode ‘l’Etat décide, les maires exécutent »
Christophe Bouillon, 29/04/2020, Banque des territoires
Au-delà du rapport de force, se pose la question de l’échelle de dialogue pertinente à instaurer entre les préfets et les élus locaux. Président de l’Association des Communautés de France (ACDF), Jean-Luc Rigaut plaide pour que l’intercommunalité devienne l’espace de dialogue privilégié entre le préfet et les centaines, voire milliers de maires au sein des départements. Néanmoins, la capacité des EPCI à jouer ce rôle dans le contexte actuel interroge, compte tenu du fait que 88% d’entre eux ne sont pas dotés d’une assemblée délibérante définitivement renouvelée du fait du report du second tour des élections municipales (AdCF), et que leurs services techniques subissent encore les effets du confinement. Faire des EPCI la plateforme adaptée pour planifier le déconfinement pose la question des territoires peu familiers avec la tradition de l’intercommunalité, et rappelle l’enjeu de l’émiettement communal en France. Si les EPCI étaient bel et bien amenés à jouer leur rôle de relais entre préfets et élus, doit-on s’attendre à un renforcement de « l’esprit communautaire » pour des territoires peu familiers avec la tradition d’intercommunalité, notamment lors de l’élaboration de documents de planification ? Enfin, face aux difficultés de dialogue en bonne intelligence entre les services de l’Etat et les collectivités dans la mise en œuvre de certains documents de planification (CITADIA), peut-on espérer que le binôme « préfet / élu », fonctionnant déjà pour certains dispositifs (signature des conventions ANRU, Projets d’Intérêt Généraux etc.), et réaffirmé par le déconfinement aboutisse à une nouvelle culture de travail en commun entre services de l’Etat et collectivités ?
Mettre en œuvre le déconfinement : les élus, main armée de l’action publique
« Dans ce type de crise grave, les maires doivent se positionner personnellement, émotionnellement et, souvent, leur conception profonde de la politique et de la gouvernance émerge » (Médiacités). Par ces mots, Alain Faure, directeur de recherche au CRNS souligne combien la mise en œuvre du déconfinement sera largement tributaire du profil de l’élu. Comme nous le rappelions dans un de nos articles précédents, l’élu local était au cœur de la gestion du confinement, il est donc peu surprenant qu’il joue un rôle tout aussi central dans celle du déconfinement. A ce rôle renforcé de l’élu sous-tend le risque de voir se multiplier les stratégies de déconfinement selon les territoires, dans un contexte de mille-feuille territorial. Si les députés et les sénateurs sont parvenus à un accord concernant la responsabilité pénale des élus dans le cadre de la loi de prolongation de l’état d’urgence, le second tour des élections municipales demeure la grande inconnue. Le contexte d’état d’urgence sanitaire appelle à envisager un report des élections en octobre, mais pour certains élus, la tenue du second tour le plus rapidement possible est indispensable. Maire de Rennes, Nathalie Appéré s’exprime en ce sens au micro de France Inter le lundi 11 mai :
« Les collectivités locales sont au cœur de la gestion de crise et seront aussi au creux du rebond et de la relance lorsqu’elle sera attendue et il faut pour ça que les équipes soient opérationnelles et élues »
Nahtalie Appéré, 11/05/2020, France Inter
Si dans la majorité des cas, c’est un rapport de bonne-intelligence qui s’instaure entre équipes, certaines communes sont confrontées à une préparation du déconfinement viciée par les mauvaises relations entre élus d’hier et de demain (Médiacités). La mise en œuvre du déconfinement sera-t-elle affaire de politique locale ? Prorogées, les équipes en place sont appelées à poursuivre leurs délibérations normalement, en veillant à envoyer une copie des décisions prises aux nouveaux élus. Dans les contextes d’alternance difficile et de tensions entre équipes, qu’en est-il des décisions prises par les équipes en place ? Au-delà des modalités du déconfinement, se pose la question des choix effectués en matière d’aménagement du territoire. Présidente de la Fédération des promoteurs immobiliers, Alexandra François-Cuxac revient sur le temps d’arrêt porté au monde de la construction par le gel des élections municipales: « les conseils municipaux en place et leurs exécutifs ne se sentent pas tous légitimes, et ne mettent pas tous la même énergie à construire et à produire du logement » (Cadre de Ville). Alors que les effets du confinement ont été lourds pour le monde de la construction (baisse de 30% du nombre de logements autorisés en 2020), ses acteurs se réjouissent de la reprise des délais règlementaires pour les procédures d’urbanisme prévue au 24 mai, ainsi que l’annonce du Gouvernement fixant au 28 mai la date finale pour l’installation des conseils municipaux pour les communes dont les résultats du 1er tour ont été conclusifs. L’objectif de ces mesures est d’offrir aux territoires les moyens de faire du déconfinement une période de reprise pour les projets d’aménagements.
Financer le déconfinement : élus / Etat : quels outils de soutien palliatifs ?
« Le déconfinement va demander de lourds investissements en moyens matériels et humains. Mais pendant le confinement, les recettes des collectivités ont fondu et vont continuer à s’amenuiser. Sans l’aide de l’État, nous n’y arriverons pas ». Comme une invitation tendue au Gouvernement, André Robert, directeur général de l’Association des Petites Villes de France (APVF) rappelle les difficultés financières des collectivités (Le Point). A ce jour, les prévisions de pertes financières varient fortement, comme le rappelle Gerard Darmanin en Commission des finances le mercredi 29 avril (Assemblée nationale). Lors de cette audition, le ministre et le secrétaire d’Etat Olivier Dussopt ont rappelé que les effets de la crise sanitaire sur les ressources budgétaires de collectivités se feront davantage sentir en 2021 (environ 10 milliards) qu’en 2020 (environ 4 milliards), et ont esquissé une approche différenciée selon le type de collectivités. Si la situation particulièrement difficile rencontrée par les départements fait l’objet d’une grande attention, principalement due à la baisse des recettes issues de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et l’augmentation des dépenses sociales, Olivier Dussopt se montre rassurant quant à l’équilibre financier pour les communes et les EPCI : « il n’y a pas lieu de s’inquiéter pour la dynamique du nouveau panier fiscal du bloc communal » (Assemblée nationale).
Sans fixer de modalités claires en matière de fiscalité locale, le Gouvernement esquisse les contours de plusieurs mesures, telles que la possibilité de pouvoir lisser certaines dépenses de fonctionnement sur plusieurs exercices, la baisse du taux de la TVA sur les équipements de protection, ou encore l’imputation sur le budget annuel de fonctionnement des régions de la participation au fonds de solidarité. Souhaitée par de nombreux élus, la création d’un budget annexe lié à la gestion de la crise ne suscite pas l’opposition frontale du Gouvernement, bien que selon Olivier Dussopt, cette solution soit à même de favoriser les collectivités de grande taille disposant de l’ingénierie suffisante pour tracer les sources de dépenses (Assemblée nationale). Au-delà du coût du déconfinement et du maintien de la mission d’intérêt général incombant aux collectivités, rappelant les contrastes entre communes aisées et fragiles (France Inter), c’est leur capacité à porter le développement territorial dans une logique de relance qui doit guider les réflexions en matière de fiscalité locale. Dépourvues d’une part importante de leurs recettes, contraintes dans le maintien d’un équilibre entre dépenses de fonctionnement et d’investissement, les collectivités seront-elles à même de porter des projets sur leur territoire ? De nouvelles modalités de contractualisation sont-elles à envisager ?
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Focus : les documents de planification et la crise sanitaire
Hormis pour la possibilité de déterminer un seuil de densité selon niveau de polarité ainsi que des orientations stratégiques, les Schémas de Cohérence Territoriaux (SCoT) semblent relever d’échelles géographiques trop importantes pour fonctionner comme de réels outils de gestion des risques sanitaires. Les PLU(i) en revanche, semblent davantage adaptés. S’il est peu risqué de prédire que les prochains Projets d’Aménagement et de Développement Durable (PADD) ne manqueront pas de mentionner les termes de « risque sanitaire » et « résilience », qu’en est-il du règlement écrit ? Les destinations autorisées permettront-elles un réel travail sur le rapprochement des fonctions urbaines ? Les règles favorisant la densité (implantation, emprise au sol, hauteur) seront-elles renouvelées ? Les Orientations d’Aménagement et de Programmation (OAP) développeront-elles de nouveaux outils pour se préparer à d’éventuelles crises sanitaires ? Si les élus locaux sont appelés à jouer un rôle crucial dans le déconfinement, il semble logique que les outils à leur disposition, notamment en matière de planification, connaissent également une réaffirmation.