Les maires reprennent souvent cette ambition dans leur Projet d’Aménagement et de Développement Durable : une ville pour tous. Les promoteurs proposent de développer toujours plus de mixité dans leurs immeubles et les aménageurs revendiquent la conception de quartiers accessibles au plus grand nombre.
La notion d’inclusion semble bien ancrée dans les pratiques des acteurs de la ville.
Nos villes, nos logements, nos espaces publics racontent pourtant parfois une autre histoire à l’heure de la crise du COVID-19.
On se rend compte qu’il va être difficile, au moment du déconfinement, de respecter des distances de 1 à 2 m entre chaque piéton, quand les trottoirs sont minuscules, préemptés par des places de stationnement, voire inexistants. Mais alors, comment faisaient, en temps « normal », une personne en fauteuil roulant, une famille avec poussette, une grand-mère revenant du marché avec son caddie un peu trop lourd pour elle ?
Les hôpitaux, en lien avec les collectivités, et les forces de police, ont dû ici et là mettre en place des mesures pour raccompagner le personnel soignant, principalement féminin, qui rentrait tard le soir, loin, en transport, après une journée de travail harassante. Un dispositif à saluer mais qui cache une réalité plus quotidienne, quand on sait que 54% des femmes renoncent à utiliser les transports en commun à certaines heures, notamment en soirées [1], tant elles se sentent en vulnérabilité dans cet environnement, et que, de manière générale celles-ci multiplient les trajets quotidiens (59% font plus de 8 trajets par jour contre 41% des hommes). [2]
Avec les squares et aires de jeux fermés depuis mi-mars, où faire jouer et se dépenser les enfants dans l’heure de sortie autorisée ? Ce casse-tête s’est posé d’un seul coup pour des millions de parents. A en déduire donc que les enfants doivent être forcément « parqués » dans des endroits spécifiques pour eux ? Un confinement parmi d’autre, pas chez soi, mais dans des espaces institutionnalisés, souvent peu porteurs d’imaginaire et contraignant les parents qui les accompagnent à s’y restreindre (ou astreindre) aussi ?
En ces temps de télétravail forcé et généralisé, d’école à la maison, de logements multifonctions, tout le monde s’est rendu compte, ou du moins les plus chanceux, de l’utilité d’avoir une pièce en plus, où on peut s’isoler, travailler, téléphoner, Teamser, Zoomer, et bien d’autres choses encore. Et si ces quelques m² supplémentaires pouvaient également permettre à certaines femmes, souvent les plus précaires, souvent seules à la tête d’une famille, de travailler de chez elles, de mieux s’organiser, et donc in fine de permettre une meilleure équité des ressources socio-économiques ? ou encore permettre d’accueillir quelqu’un pour s’occuper de soi, quand on vieillit ? Il faudrait donc que les logements s’adaptent aussi à ces réalités, par une conception intégrée et la prise en compte de ces besoins le plus en amont possible.
Le confinement a alerté, en effet, sur la situation parfois isolée de nos séniors. Ce n’est pas nouveau, une précédente crise (la canicule de 2003, ndlr) avait déjà pointé du doigt l’importance d’une meilleure attention à leur porter. A l’époque, la réponse avait été d’instaurer une journée de solidarité. A l’épreuve du COVID, il semble qu’il reste encore du chemin à faire, pour mieux les intégrer à la ville, et pourtant ce sujet est d’autant plus d’actualité que 26% de la population sera âgée de 65 ans et plus dès 2040 [3]…
Quelques exemples parmi d’autres. Et si la crise sanitaire avait mis en lumière que la ville dans laquelle nous vivons ne prend pas toujours en compte la diversité, et qu’il en résulte des inégalités dans l’accès aux ressources de l’espace et son appropriation ?
Chez CITY Linked, nous défendons l’idée que créer la ville autrement, cette ville de « l’après », c’est notamment mieux penser en amont comment l’aménager pour tous. Partout en Europe, à la faveur de recherches mais également d’initiatives d’acteurs engagés de l’urbain, un certain nombre de démarches se développent au profit d’une ville plus inclusive. Toutefois, la prise en compte de la diversité des usagers relève plus souvent de démarches ponctuelles, principalement portées par des acteurs engagés, ou reste un vœu pieu faute de savoir comment intégrer de manière concrète cette approche dans la conception des projets urbains et immobiliers.
Le moment nous semble opportun pour mettre en lumière ces démarches inclusives et prendre un temps de recul pour mieux réfléchir nos projets de demain et créer de véritables conditions d’hospitalité et d’habitabilité.
Comment faire ? Nous voyons plusieurs pistes à suivre :
– Mieux connaître les publics : écouter les fédérations, les experts, les chercheurs, pour mieux comprendre ou expliquer les traitements inégalitaires dans la conception des projets urbains et immobiliers
– S’inspirer d’expériences : référencer les démarches à l’œuvre en France et en Europe, pour mettre en lumière les initiatives inspirantes.
– Diffuser : prendre son bâton de pèlerin, pour partager les grands enseignements de ces analyses croisées, et par la pédagogie convaincre les élus, les maires, de l’intérêt de mieux prendre en compte ces objectifs d’inclusion pour proposer des projets plus bienveillants et accueillants. C’est d’autant plus important en cette période de renouvellement (certes encore flottant) des mandats locaux.
– Tester par le projet : parce qu’il n’y a rien de mieux que l’approche terrain.
Et s’il était temps de créer des villes plus inclusives ?
C’est pour cette raison que nous venons d’engager la réalisation d’un livre blanc pour la prise en compte de tous les publics dans la conception des projets urbains et immobiliers à destination de tous les producteurs de la ville.
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Notes et références:
- [1] Etude de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut), 2016
- [2] Etude de la CU Bordeaux – A’urba et ADES, 2010
- [3] Insee, 2016