Mathieu Zimmer © Deux Degrés

Fondateur de Deux Degrés, Mathieu Zimmer a d’abord lancé un site internet avant son agence. Aujourd’hui, il intervient dans les projets urbains en assurant la médiation entre les professionnels développant les projets urbains, et les usagers qui pratiquent les sites de projet. Dans cet entretien – 2ème opus thématique de notre saga du parking des Sécheries – il revient sans détour sur les aléas du projet, vus à hauteur d’habitant. L’occasion de se rappeler que la vi(ll)e ne s’arrête pas à la livraison des bâtiments.

Avant d’évoquer le sujet du parking, pouvez-vous nous rappeler votre mission ?

Les Sécheries était la première mission de médiation de Deux Degrés. À l’époque [vers 2014, ndlr], Aquitanis se lançait dans l’opération avec des ambitions, mais aussi des craintes : le choix était de faire un quartier sans clôture, et puis d’inaugurer un modèle de stationnement nouveau – bien que mûri sur la base des expériences béglaises passées comme à TerreSud. L’enjeu de la médiation était donc d’assurer que ces principes de projet soient expliqués aux habitants pour qu’ils comprennent comment fonctionne leur quartier.

Concrètement, cela s’est traduit par beaucoup de temps d’accueil des habitants, de facilitation des rencontres entre les résidents, donc beaucoup de travail de terrain… tout ça dans l’optique de parler du projet et de savoir ce qui allait et n’allait pas.

La difficulté pour nous, ça a été d’arriver dans un projet déjà programmé, déjà dessiné : les premiers habitants arrivaient trois mois après le lancement de notre mission ! Donc les retours que nous faisions remonter ne pouvaient pas influencer le projet d’ensemble : nous avons que cette configuration n’est pas optimale. En bref, notre mission a été d’expliquer comment les choses fonctionnaient et d’avoir un discours positif sur le parking – ce qui a franchement été compliqué.

Comment les habitants se sont-ils appropriés le parking ?

S’il y a un point qui a cristallisé les craintes des habitants, c’est ce fameux parking. D’une part en raison de la logique de paiement de la place de parking : un contrat d’amodiation étalant le coût d’utilisation par logement (environ 12k€) sur une durée d’environ 15 ans à l’issue de laquelle le ménage n’est pas propriétaire de la place utilisée. D’autre part en raison de la dissociation du coût de la place de parking et du logement : en vertu du contrat d’amodiation, les ménages achetaient d’un côté leur logement au promoteur et de l’autre, une place de parking à Parcub[1]. Cela a donné l’impression aux habitants qu’ils payaient 12k€ « de plus ». Enfin, les habitants doivent payer (en complément de leur mensualité d’amodiation) des frais élevés pour l’entretien du parking – qui se sont révélés en décalage avec la gestion effective du stationnement : le suivi des dossiers était aléatoire, le calcul tarifaire énigmatique, et puis les habitants ont dû faire face à de nombreuses pannes et défauts d’entretien.

Nous avons passé beaucoup de temps à démontrer la vertu du parking dans la logique de projet, mais ils n’ont pas adhéré. Ces ratés ont compliqué notre mission sur le terrain.

Par ailleurs, la politique tarifaire de Parcub a déconcerté les habitants : un utilisateur extérieur au quartier, s’il stationne 15 ans dans le parking, paye moins cher qu’un habitant avec son contrat d’amodiation. L’autre point de blocage – peut-être plus culturel – c’est le fait que beaucoup d’habitants étaient gênés de faire payer un stationnement à des amis venant dîner un soir ou à leur famille qui venait les voir un week-end. Bien que les habitants aient rapidement compris que le parking avait permis de rendre le quartier véritablement verdoyant, les proches et les visiteurs ont toujours eu du mal à intégrer cela : le projet a été pensé pour le stationnement des habitants, pas vraiment des proches.

Mais notre mission était aussi de « vendre » la réversibilité du silo aux habitants en leur montrant qu’on pouvait s’en servir pour d’autres choses que du stationnement. Or le parking, aujourd’hui, il est plein ! Difficile, donc, de faire un vide grenier dans ces conditions. Sur le toit, qui était ciblé comme lieu d’accueil d’usages habitants, nous avons constaté que le revêtement vert – qui est a priori bien pensé pour des usages alternatifs – gelait l’hiver, et devenait brûlant en été…

Cela étant dit, le parking a un énorme avantage : c’est là que tous les habitants du quartier se croisent régulièrement. C’est un lieu fédérateur, si bien que – ironie du sort – c’est de ce parking qu’est née une association de quartier.

Pose du revêtement vert sur la toiture du parking © François Blazquez

En dehors des conférences Aquitanis dans le parking, y a-t-il eu d’autres usages finalement ?

En effet, ces conférences d’Aquitanis étaient bien, le parking était véritablement utilisé.

Au-delà de ça, nous avons fait un pot d’accueil de nouveaux habitants dans un coin du parking, parce qu’il pleuvait – nous étions en novembre, c’était donc moins chaleureux… et puis nous devions faire un pique-nique sur le toit avec des habitants, en été, mais cette fois il faisait trop chaud donc nous nous étions rapatriés sous les arbres. Dans le cadre de notre mission de médiation, nous n’avons pas réutilisé le parking.

Le fait que le parking est plein ne permet pas vraiment d’y faire autre chose actuellement. Cependant je ne dis pas qu’il ne s’y passera rien : nous imaginions des vide-greniers notamment… mais cela requiert une forte adhésion des habitants d’une part, et puis des solutions de report pour déplacer les occupants d’autre part.

Un relai de services La Poste avait été évoqué à un moment, mais je ne sais pas où en est le sujet : le parking n’a pas été conçu pour cela. Des affichages pour petites annonces seraient intéressants par exemple. En fait, le caractère incontournable du parking le rend idéal pour y implanter des petits services du quotidien, très pratiques. Là encore, la relation et l’engagement du gestionnaire de parking est primordiale pour concrétiser ce genre de démarche.

Pot d’accueil de nouveaux habitants du quartier, janvier 2018 © François Blazquez

Qu’est-ce que votre mission de médiation a révélé sur l’usage du parking, sur sa perception ?

En fait, le parking a beau avoir été une aubaine pour l’opération, les habitants se fichent un peu du coût de la charge foncière et de la logique d’aménagement : eux regardent le prix de l’immobilier, du parking, de son entretien… sans penser à l’économie d’ensemble du projet ; ils sont plutôt dans une logique quotidienne.

Pour certains habitants, qui n’avaient pas de voiture [le tram est situé à 7 minutes à pied du quartier, ndlr], ce parking était vraiment le point noir parce que tout accédant devait payer sa place… face à une telle situation, c’était difficile de convaincre du son bien-fondé.

Aujourd’hui, je crois que des applications existent pour (sous-)louer des places de parking : les habitants des Sécheries sont très au courant de ces choses parce que le fait qu’ils perçoivent le parking comme trop cher les a fait redoubler de créativité pour y chercher une rentabilité.

Et puis, plus que la Ville, Aquitanis ou l’architecte, c’est Parcub qui a été en première ligne pour discuter avec les habitants. Nous avons organisé plusieurs réunions entre Parcub et les habitants : je pense que ça a été l’occasion pour le gestionnaire de mesurer l’étendue des dysfonctionnements de son parking… des engagements d’amélioration ont été pris en plénière mais les relations sont encore très tendues.

Votre expérience alimente-t-elle ou pourrait-elle alimenter la programmation future du silo ?

Notre travail sur le quartier a souffert des problèmes liés au parking. Les arguments / plaintes des habitants étant très entendables, nous avons fini par nous concentrer, nous aussi, sur l’urgence de la gestion (ou plutôt des pannes) du parking. C’est difficile de travailler sur des moments positifs lorsqu’un souci quotidien est très présent. Nous aurons travaillé 6 ans sur cette mission de médiation avec Aquitanis. Le pari de créer des nouveaux usages dans ce parking est raté de notre côté. Il me semble que c’est une bonne chose que d’autres acteurs investissent le sujet, plus frais, pour renouveler la dynamique auprès des acteurs.

Entrée du parking à sa livraison © François Blazquez

Si c’était à refaire demain, comment vous y prendriez-vous pour améliorer ce parking réversible ?

Le principal sujet des craintes des habitants ayant été l’amodiation, je pense que c’est la clé de résolution des soucis que nous avons constatés. Le modèle économique ne doit pas être un frein à l’usage du parking : les habitants ont déjà leur ASL[2] (exclusivement orientée propriété, et pas amodiation), il faudrait une association vertueuse entre ce genre de structure et l’exploitant pour faciliter la gestion du parking. Les choses doivent être claires pour que les habitants s’installent en connaissance de cause.

Une autre piste serait de créer des lieux positifs dans cet espace logistique. Le local vélos ne suffit pas à faire office de lieu de convivialité ; il faut un espace chaleureux clairement délimité. Aux Sécheries, on aurait pu imaginer un petit atelier de bricolage / réparation… alors qu’aujourd’hui ça reste un simple parking.

Enfin, il faut garder en tête que le temps de l’aménagement et le temps de l’habitant n’ont pas grand-chose en commun. Justifier un modèle économique sur la base d’une économie de projet d’aménagement est difficile à entendre pour un habitant qui demeure focalisé sur ce qu’il paye en fin de mois.

***

Propos recueillis par Marie Fruleux, Alexandre Murer, Violette Salin ; février 2021

[1] Depuis le 1er janvier 2020, la régie métropolitaine de stationnement Parcub est devenue Metpark. La structure gère plus de 30 parkings dans la métropole girondine.

[2] Association syndicale libre.

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