“Un nouveau paradigme est en train d’émerger autour de la revitalisation territoriale comme un véritable objet de l’action publique, qui trouve son incarnation institutionnelle avec Action Cœur de Ville et prochainement avec les petites villes .”
Jean Guiony, Directeur adjoint du programme Action Coeur de Ville (ACV)
Directeur adjoint du programme Action Cœur de Ville (ACV), Jean Guiony fait état de l’actualité entourant le dispositif de revitalisation des centres des villes moyennes. Alors qu’un article récent rappelait que 81% des 222 communes concernées par ACV se sont engagées dans des projets d’extension de surfaces commerciales périphériques, la nécessité d’obtenir un retour sur le dispositif apparaît nécessaire. Chantier majeur dans le monde de l’aménagement des dernières années, la revitalisation des centres de villes moyennes a fait l’objet de nombreux dispositifs, tels qu’Action Cœur de Ville ou l’Appel à Manifestation d’Intérêt (AMI) « Réinventons nos Cœurs de Ville ». Au-delà des interrogations évoquées plus haut, nous nous sommes interrogés sur les apports du dispositif ACV vis-à-vis des enjeux fonciers des villes moyennes ; dans quelle mesure celui-ci peut fonctionner comme facilitateur, et quels sont les premiers retours d’expérience ?
Les villes moyennes : regain d’attention et nouvelle approche vis-à-vis du foncier ?
Vacance commerciale, départ des ménages, disparition des services publics, autant de difficultés rencontrées par de nombreuses villes moyennes et mises en avant par le monde journalistique (France Culture), ainsi que par le rapport d’André Marcon rendu au Gouvernement en 2016 . Afin de redonner une attractivité à ces centralités, plusieurs dispositifs se sont succédé, tels que l’expérimentation « 20 villes moyennes témoins » de 2007, l’AMI Centres bourgs de 2014, ainsi que l’expérimentation « Centres villes de demain » de 2016. L’ensemble de ces dispositifs accordaient une place de choix à l’intervention foncière, que ce soit par la mobilisation d’espaces inoccupés sur lesquels nous revenions dans un article précédent, la réactivation de cellules commerciales, ou le lancement de projets emblématiques sur des sites en déshérence. Chef de projet ACV et Opération de Revitalisation de Territoire (ORT) au sein de la Direction Habitat Urbanisme et Paysage du Ministère de la Cohésion des Territoires, David Laborey met en lumière le lien étroit qu’entretient le dispositif ACV avec les enjeux fonciers:
“Action Cœur de Ville va permettre de libérer des fonciers bloqués à travers une action sur l’équilibre financier des opérations, l’objectif étant d’assurer des prix de sortie équilibrés pour les projets dans l’ancien.”
David Laborey, Chef de projet ACV et Opération de Revitalisation de Territoire (ORT) au sein de la DHUP du Ministère de la Cohésion des Territoires
A l’image des Offices Fonciers Solidaires (OFS) et du Bail Réel Solidaire (BRS) sur lequel nous étions revenus , aujourd’hui essentiellement tournés vers les territoires aux marchés immobiliers tendus, les enjeux fonciers sont le plus souvent évoqués dans des communes aux très faibles disponibilités foncières. Au sein des territoires concernés par ACV, ces enjeux se posent en des termes très différents, avec de nombreux espaces disponibles (friches industrielles, immeubles vacants, dents creuses, etc.) et une faible demande sur les marchés immobiliers. Directeur de la SEM Territoires Charentes, Philippe Maylin décrit ainsi les enjeux fonciers au sein de son territoire : « nous sommes sur un marché très détendu ce qui fait que nos problématiques sont quasiment inverses de celles des Métropoles. Il est difficile de sortir des projets car les prix de vente sont très bas, amenant à ce que des projets de reconquête soient complexes ». Si certains universitaires font des disponibilités foncières un atout pour concevoir l’action publique locale de demain (La Vie des Idées), Sarah Dubeaux, docteure en géographie et spécialiste de la décroissance urbaine, rappelle le rapport ambivalent de nombreux élus locaux vis-à-vis des disponibilités foncières sur leur territoire :
“Des territoires détendus entretiennent un rapport aux friches assez ambivalent, en évitant à tout prix qu’apparaissent des friches sur leur territoire via une action permanente de comblement du foncier. Cet évitement de la friche par une stratégie au coup par coup a des effets pervers qui peut amener à créer de la vacance ailleurs, tout en maintenant des prix immobiliers élevés .”
Sarah Dubeaux, Docteure en géographie
S’il existe des espaces disponibles au sein des centralités, suscitant l’intérêt des élus locaux, encore faut-il être en mesure de les mobiliser. Parmi les propositions du rapport Marcon de 2016, le recours à des acteurs opérationnels locaux (SEM, SPL, Foncières) pour intervenir durablement sur le foncier commercial apparaît comme un levier de premier plan, amenant à ce que la signature d’une convention ACV s’accompagne parfois de la création d’une société foncière. Conseiller au sein de l’association des Villes de France, Jean-Sébastien Sauvourel revient sur la création de ces structures :
“Les sociétés foncières existaient déjà comme outils dans de nombreuses métropoles, or il y avait besoin de cette expertise foncière dans les villes moyennes aussi. Leur création correspond au besoin constaté dans de nombreux territoires de s’associer avec des professionnels, les enjeux fonciers étant particulièrement complexes en centre-ville, notamment du fait des contraintes patrimoniales.”
Jean-Sébastien Savourel, Conseiller au sein de l’association des Villes de France
Avec plus de 80 projets de création ou de développement de SEM ou de SEM foncières recensés en 2019 et plus de 11 millions investis dans ces sociétés, ces dernières semblent bien accueillies par les acteurs locaux. Directeur des études à l’Etablissement Public Foncier (EPF) de Bretagne, Antoine Morin détaille le fonctionnement de « Breizh cité », future société foncière qui sera créée sur le territoire : « l’objectif est de prioriser l’action de cette société sur des sites aujourd’hui moyennement attractifs mais avec un potentiel, l’équilibre financier de la société se fera d’ailleurs sur plusieurs opérations. Il sera important d’articuler cette société avec les opérateurs existants ». Acquisition de biens immobiliers vacants pour une démolition/reconstruction, acquisition de rez-de-chaussée commerciaux, facilitation de travaux de rénovation, autant d’actions pouvant être menées par les sociétés foncières dans le cadre de la convention ACV. Les logiques d’intervention varient localement ; alors que l’EPF Bretagne prévoit d’intervenir en amont sur le portage foncier et de laisser à la future société foncière le soin d’exploiter les biens immobiliers dans la durée, la SEM Oryon à la Roche-sur-Yon intervient sur l’ensemble de l’opération, dès l’acquisition du foncier ou du bien immobilier.
Si ces sociétés foncières viennent faciliter la mise en œuvre de certaines opérations en centres de villes moyennes, Jean Guiony met en lumière les difficultés structurelles rencontrées dans le cadre de certains projets ACV : « en dépit de nombreux financements complémentaires souvent massifs, dans certaines communes aux marchés très détendus, les opérations immobilières ou d’aménagement réalisées dans le cadre d’Action Cœur de Ville connaissent des bilans financiers parfois très contraints, avec des déficits que personne ne prend en charge. Notre réflexion actuelle porte donc sur la prise en charge de ces déficits, comme elle existe dans les quartiers de la rénovation urbaine, par l’ANRU ». Partageant ce constat, David Laborey précise les opérations pour lesquelles l’équilibre des financiers des opérations est le plus difficile à atteindre :
“Tout dépend du niveau d’intervention et de la nature de la rénovation. Le problème de l’équilibre financier se pose tout particulièrement pour les opérations de restructuration lourde dans les tissus anciens. Dans ce cas, l’objectif est bel et bien de mieux financer le déficit de l’opération.”
David Laborey, Chef de projet ACV et Opération de Revitalisation de Territoire (ORT) au sein de la DHUP du Ministère de la Cohésion des Territoires
Action Cœur de Ville : modalités de déploiement et premiers retours d’expérience
Présenté comme un dispositif innovant associant l’Etat et ses services déconcentrés et les territoires dans une logique de co-construction, le dispositif ACV représente une opportunité de nouer des relations entre acteurs, comme le souligne François-Xavier Bonvoisin, chef de projet ACV à Montauban : « Action Cœur de Ville est une politique véritablement partenariale, mobilisant un grand nombre d’acteurs comme par exemple Action Logement, la Banque des Territoires, l’ANAH, les chambres consulaires, etc. Le dispositif permet de renforcer les partenariats que nous avions par le passé avec ces acteurs ». Pour Antoine Morin, l’appui du dispositif sur les forces vives du territoire est également l’une des conditions de réussite d’ACV :
“Pour que les projets marchent bien, il faut une forte volonté politique, des élus pour porter les projets dans la durée, mais également veiller à associer l’ensemble des parties prenantes (services de l’Etat, Région, partenaires locaux et nationaux, etc.). Les projets qui marchent bien sont également souvent ceux qui prennent appui sur le tissu associatif local, notamment dans les centres-bourgs. La qualité de la concertation est également un facteur de réussite.”
Antoine Morin, Directeur des études à l’Etablissement Public Foncier (EPF) de Bretagne
Une autre caractéristique souvent mise en avant pour qualifier ACV est son aspect itératif et la possibilité pour les territoires de procéder à des avenants sur la convention initiale, sur lesquels revient François-Xavier Bonvoisin: « ces avenants peuvent porter sur une ou plusieurs actions, et sont également l’occasion d’apporter des modifications aux actions précédentes. C’est un processus relativement long, souvent de plusieurs mois, comportant plusieurs étapes de validation. L’objectif est de mobiliser les partenaires en amont, notamment les services de l’Etat, afin d’intégrer les remarques le plus tôt possible, ainsi que pour créer du consensus ». Si les avenants permettent bel et bien d’adapter le dispositif ACV tout au long de son déploiement, ce dernier implique une ingénierie technique dont seuls disposent les territoires de volume non négligeable, d’autant plus face à la complexité des procédures. En ce sens, l’ensemble des territoires ne semblent pas outillés pour s’engager dans un tel dispositif.
Le dispositif ACV est par ailleurs conçu pour susciter l’intérêt d’acteurs privés pour s’implanter sur le territoire concomitamment à la valorisation engagée par la puissance publique, comme le souligne François-Xavier Bonvoisin: « ce n’est pas la vocation des collectivités de tout prendre à leur charge et elles n’en ont pas les moyens. En revanche, elles peuvent jouer un rôle de facilitateur et d’impulsion ». S’il rappelle qu’il est prématuré de tirer des conclusions dès aujourd’hui, Antoine Morin se montre enthousiaste quant à l’atteinte de cet objectif sur le territoire breton : « nous voyons bien qu’il y a un mouvement de fond et un certain regain d’intérêt de la part des opérateurs pour d’autres territoires que les villes principales, ce qui était moins le cas par le passé ». Cette conception du développement local fondé sur une « injonction » ponctuelle d’ingénierie et de financements exceptionnels permettant de valoriser un territoire et d’attirer des acteurs extérieurs est aujourd’hui remise en question par certains acteurs issus du monde universitaire, comme Sarah Dubeaux, prônant un modèle de développement endogène reposant sur la mobilisation des acteurs locaux, tels que les EPF ou les bailleurs sociaux par exemple
Qu’ils portent sur la revitalisation des centralités ou le développement durable des territoires, les enjeux fonciers sont au cœur des questionnements contemporains des acteurs de la Ville, lesquels travaillent dès aujourd’hui à l’élaboration de nouveaux outils permettant d’allier ces deux logiques. A l’image des « ORT vertes », présentées dans le cadre du dernier comité interministériel et partenarial du programme ACV et actuellement en cours de préfiguration, l’objectif est d’assurer la revitalisation des centralités par une facilitation des projets d’aménagement et immobilier, sous condition de l’engagement par la collectivité d’une démarche de ZAN pour les années à venir. Des passerelles sont donc à trouver entre les nouveaux paradigmes de l’aménagement des territoires, et les nouveaux outils pour y parvenir sont encore à inventer.
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