Crise sanitaire et collectivités : quels impacts sur l’action publique locale et l’aménagement ?
Evaluer les impacts de la crise sanitaire du Covid-19 sur le monde de l’aménagement ; l’exercice semble difficile et prématuré. Le confinement actuel est susceptible de faire évoluer à long terme la conception des logements face à la nouvelle ampleur de la sphère domestique, les niveaux de densité acceptables pour faire face à l’épidémie, mais également l’offre de mobilités et de commerces à même de renouveler les pratiques de déplacements et de consommation. Si certaines inconnues subsistent, il est un domaine dont les impacts de l’épidémie sont plus facilement identifiables dès à présent, celui de l’action publique locale. Amputées de nombreux agents, privées d’une grande part de leurs financements, les collectivités territoriales sont pourtant au cœur de la gestion quotidienne de l’épidémie et doivent assurer la continuité du service public, amenant à plusieurs mesures apportées par la loi d’urgence pour faire face au COVID19, votée le 23 mars 2020, ainsi que par les ordonnances récentes. Alors que les collectivités sont dans une situation historique, il est crucial de donner à voir les démarches mises en place localement, ainsi que le cadre d’intervention des élus locaux pour faire face à la crise sanitaire. Ce faisant, il sera possible d’interroger la réponse donnée au lendemain de l’état d’urgence sanitaire, afin d’accompagner la relance au sein des territoires.
Elections municipales : un scrutin historique et l’inconnue du second tour
Reportée jusqu’à présent à la fin du mois de juin pour les 4922 communes dont le premier tour n’a pas été conclusif (voir notre article du 24/03/2020), l’organisation du second tour des élections municipales reste conditionnée aux conclusions du rapport du comité scientifique devant être rendu au Gouvernement le 23 mai, avant les déclarations d’Emmanuel Macron du 1er avril 2020, envisageant un nouveau report au mois d’octobre (Le Figaro). Dans ce cas de figure, c’est l’ensemble du cycle électoral qui devra être organisé à nouveau. Initialement prévu au plus tard pour le 2 juin, le dépôt des candidatures pour le second tour a généré d’importants débats parlementaires, alliant considérations d’ordre sanitaire et craintes politiques ; certains observateurs voyant dans ce report un délai pour LREM en vue de pallier des scores décevants au premier tour. Alors que la porte-parole du gouvernement rappelait le 20 mars dernier combien il était « important d’avoir des équipes municipales opérationnelles pour gérer la crise du coronavirus» (Les Echos), la loi du 23 mars a amené à ce que les équipes sortantes soient prorogées jusqu’à la tenue du second tour. Pour un membre de l’Association des Petites Villes de France (APVF), la situation exceptionnelle que connaissent aujourd’hui les territoires amène à un travail de concert « en bonne intelligence » entre les élus d’aujourd’hui et les nouvelles équipes. Plusieurs autres mesures facilitent la conduite de l’action publique en période de crise sanitaire, notamment pour les règles de réunion au sein des organes délibérants, ainsi qu’à travers la possibilité d’organiser des votes électroniques ou par correspondance.
Au-delà des enjeux électoraux, aujourd’hui secondaires pour la majorité des collectivités confrontées à l’épidémie selon l’association France urbaine, le report du second tour et des premiers conseils municipaux risque de ralentir l’ensemble des projets d’aménagement de notre territoire. De nombreux projets, notamment en phase pré-opérationnelle, sont en effet tributaires de premières validations de la part des territoires, le report des premiers conseils municipaux retardant ainsi le lancement d’opérations de construction. Indispensable pour l’aménagement du territoire, la bonne tenue de l’action publique locale est plus que jamais confrontée à des questions d’équilibre budgétaire, qui plus est dans un contexte marqué durant les années récentes par une perte de ressources financières pour les collectivités (suppression de la taxe d’habitation, baisse des dotations financières de l’Etat).
Politique budgétaire : gestion du confinement, continuité du service public et vitalité économique
Dans un contexte de confinement, les collectivités, comme l’ensemble des entreprises et des administrations, se voient amputées d’un grand nombre de leurs agents, la majorité d’entre-elles ayant instauré le télétravail systématique pour le personnel non essentiel à la continuité des services. Dans une recommandation du Gouvernement aux collectivités publiée le 21 mars 2020, il est à ce titre rappelé que les services instructeurs ne figurent pas parmi les services publics locaux essentiels. Un membre de l’APVF fait état d’une grande réactivité de la part des collectivités pour faire face à l’urgence, celles-ci s’étant : « très tôt constituées en format de cellule de crise pour assurer la continuité et prendre les mesures nécessaires ». Au cœur de la gestion de la crise, les territoire font face à des dépenses importantes du fait des coûts induits, tels que l’accueil des enfants du personnel soignant, le portage des repas aux personnes âgées, la fermeture et la sécurisation des lieux de convivialité, ou encore la prolongation de la trêve hivernale, et ce pour une durée dont l’allongement semble inévitable (La Gazette des Communes).
Alors que les sources de financements des collectivités sont mises à mal (absence de la taxe des entreprises, fermeture des services publics locaux financés par les usagers comme les crèches), cette augmentation des dépenses met en lumière un enjeu d’équilibre budgétaire. En ce sens, un membre de l’association France urbaine fait état d’un effet ciseaux : « les dépenses augmentent et un certain nombre de recettes qui rentraient ne rentrent plus (…) il est certain que nous sortirons de la crise avec plus de dépenses et moins de recettes ». L’ordonnance n°2020-330 du 25 mars 2020 sur la continuité budgétaire, financière et fiscale vise à faciliter la gestion budgétaire de la crise pour les collectivités, à l’image d’une augmentation du plafond des dépenses imprévues à 15% contre 7,5% aujourd’hui, ou de la suspension des accords de Cahors, dispositif de contractualisation entre l’Etat et les collectivités instauré en 2017, et visant à une hausse maitrisé des dépenses de fonctionnement (+1,2% par an). Si le droit commun autorise l’exécution de dépenses de fonctionnement dans la limite de celles inscrites au budget de l’année précédente pour les collectivités n’ayant pas pu effectuer le vote du budget pour l’année à venir, celui-ci pourra être effectué jusqu’au 31 juillet 2020, comme défini par l’ordonnance n°2020-330.
Au-delà des enjeux liés à la gestion quotidienne du confinement, se pose dès aujourd’hui la question de la sortie de crise pour les collectivités, face à une situation financière qui sera sûrement impactée durablement. Nombreux sont les élus locaux faisant part de leur crainte de voir une nouvelle baisse des aides de l’Etat aux collectivités, dans un contexte de dette nationale colossale. Si un membre de l’APVF reste prudent en la matière « pour l’instant nous n’allons pas faire de procès d’intention », la maire de Savignac-de-l’Isle en Gironde, apparaît plus sceptique : « ce que j’appréhende c’est l’après-crise et les retombées économiques (…) je pense que l’aide aux communes va passer au second plan ». Pour l’économiste Thomas Porcher, le risque d’une baisse des moyens alloués aux collectivités ne fait pas de doute : « après la crise, les coupes sur les collectivités territoriales seront encore plus fortes » (La Gazette des Communes). Si les communes sont aujourd’hui dans une situation budgétaire périlleuse pour faire face à l’épidémie et endiguer sa propagation, quels seront leurs moyens financiers à la sortie de crise, et quel soutien pourra être apporté par un Gouvernement confronté à une crise économique de grande ampleur ? De cette situation financière dépendra la reprise économique, pour laquelle les projets d’aménagement s’avèreront déterminants.
Procédures d’urbanisme : simple temps d’arrêt ou épée de Damoclès pour la relance ?
« Si les actes juridiques des collectivités territoriales sont viciés, on va rajouter à la crise sanitaire et à la crise économique une seconde crise économique liée à l’incapacité de la relance »
(Député du Haut-Rhin, 20/03/2020)
Réel enjeu selon le Gouvernement (Banque des Territoires), les écarts d’équipement numérique et d’ingénierie technique entre territoires amènent à ce que la majorité des services urbanisme au sein des collectivités soient à l’arrêt. Cette interruption pose question pour les dossiers en phase de concertation dont l’enquête publique ne peut être menée à bien, mais également pour la poursuite de l’instruction des autorisations d’urbanisme, lesquelles portent souvent selon un député du Haut-Rhin, sur « des procédures complexes à fort enjeu politique et économique ». Risque d’accord tacite potentiellement entaché d’illégalité et de recours dans le futur, l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 vise à répondre à ces problématiques en instaurant la prorogation des procédures de droit des sols et de consultation du public dont l’échéance est postérieure au 12 mars jusqu’au 24 août. Si le temps d’arrêt des phases pré opérationnelles et des travaux pénalise un grand nombre d’opérateurs et met en péril certaines entreprises du bâtiment (Cadre de ville), la poursuite des travaux engagés et les calendriers d’opérations apparaissent secondaires pour de nombreux territoires en proie à la gestion quotidienne de la crise sanitaire.
Compte tenu du poids du secteur de la construction dans l’économie nationale, la bonne tenue des opérations d’aménagement interroge la relance économique des territoires et du pays, nécessitant pour les collectivités de pouvoir (re)lancer dès que possible les différents projets mobilisant la commande publique et privée, notamment face aux difficultés et à l’incertitude des marchés immobiliers (Les Echos). En offrant la possibilité pour les conseils régionaux d’octroyer directement des aides aux entreprises les plus durement touchées, l’ordonnance sur la continuité budgétaire des collectivités vise à faciliter la relance économique au sein des territoires, dans un contexte de marge d’intervention parfois limitées pour les élus locaux, comme l’évoque le président de l’APVF : « de nombreux élus locaux nous font part des limites de leurs pouvoirs en la matière, de leur besoin de pouvoir débloquer des fonds rapidement » (APVF) . Du fait qu’elles soient en première ligne pour lutter contre le virus, et souvent mal outillées pour faire face à une crise sanitaire d’une telle ampleur il apparaît nécessaire d’offrir dès aujourd’hui aux collectivités les outils pour continuer à mener leurs missions de service public. Des outils et des moyens qui leur seront donnés sur le long terme dépendra la reprise économique, et notamment par les projets d’aménagement. S’il y aura très sûrement « un avant et un après crise » pour l’aménagement du territoire, il est impératif d’interroger dès aujourd’hui les conditions pour de lendemains meilleurs au sein des territoires.
***
Focus communes rurales :
Confrontées au confinement imposé par l’état d’urgence sanitaire, les communes rurales connaissent une réalité particulière vis-à-vis des autres communes. Evoquant la qualité du cadre de vie local, plusieurs maires interrogés soulignent une réalité du confinement différemment vécue par leurs administrés, comme pour la maire de Savignac-de-l’Isle en Gironde, pour qui : « les visions négatives de la ruralité deviennent aujourd’hui des qualités ». Si l’ampleur de l’épidémie est moindre dans un grand nombre de communes rurales, les maires sont toutefois loin d’être désœuvrés ; des actions de visite des personnes vulnérables et de distribution de repas étant mises en place, souvent par le maire lui-même, dépourvu d’employés municipaux. A ce titre, le maire de la commune du Farvil en Eure-et-Loir, évoque « la vie de village où il existe une proximité avec le maire depuis très longtemps» tandis que la maire de Savignac-de-l’Isle parle d’une « solidarité naturelle et de proximité », du fait d’une « connaissance des populations et une connaissance immédiate des besoins ». Pour plusieurs maires de territoires ruraux, cette proximité avec les habitants, exacerbée en temps de crise sanitaire, rappelle la pertinence de l’échelle communale dans l’administration territoriale.
***