Dans le cadre de notre ouvrage Question à Toits Multiples, nous avons eu la chance de mener près de 75 interviews auprès d’acteurs du logement. Qu’ils soient bailleurs, promoteurs, aménageurs, du côté des collectivités (services Habitat et Urbanisme), chercheurs, philosophes, juristes mais aussi ancienne ministre du Logement, architectes, constructeurs etc… ils ou elles nous ont livré leurs expertises et retours d’expérience, nous offrant une vision élargie des enjeux relatifs au logement et sa production.

Jérôme Goze © Pierre Filliquet

Nous vous proposons aujourd’hui de revenir sur nos échanges avec Jérôme Goze, Directeur Général Délégué de La Fabrique de Bordeaux Métropole (La Fab). La Fab est une société publique locale (SPL) créée par Bordeaux Métropole en 2012, qui a vocation à intervenir et aménager des quartiers au sein de la Métropole bordelaise afin de produire 50 000 nouveaux logements autour des axes de transports. Avec quelles particularités ? Celles de n’intervenir que sur des territoires périphériques déjà constitués (friches industrielles, fonciers avec un hangar, centres commerciaux, stations-services désaffectées etc.) pour remplir un triple objectif : produire du logement abordable, de qualité et qui prenne en compte l’histoire du territoire.

– Détaillons ce triple objectif pour décrypter l’intervention de la Fab. Pouvez-vous, tout d’abord, nous présenter le premier : produire du logement abordable ? Quels sont les leviers que vous mobilisez pour y parvenir ?

« Notre vocation est de produire du logement accessible pour un maximum de ménages de l’agglomération bordelaise en général, avec du logement social, de l’accession sociale à la propriété et du logement abordable. Plus particulièrement, nous avons vocation à loger les « classes moyennes », dans l’espace métropolitain où les prix moyens du marché du logement (environ 4300€/m² dans des secteurs attractifs) ne leur permettent plus de se loger. C’est un véritable enjeu : 70% des ménages de l’agglomération ne sont pas en mesure d’emprunter ou d’accéder au logement au-delà de 2500€/m². Nous nous positionnons sur une programmation adaptée à la capacité d’emprunt des ménages tout en apportant une réponse aux besoins du territoire.

Nous plafonnons les prix de sortie des logements avec des programmes en accession à 2500€/m² (TTC, parking compris). Pour y parvenir, nous agissons sur tous les leviers que nous avons à disposition. Je précise « tous » les leviers car nous ne nous concentrons pas qu’exclusivement sur les prix du foncier. Bien sûr, c’est une entrée fondamentale sur laquelle agir, surtout lorsque ces derniers ont eu tendance à augmenter avec l’attractivité de la métropole bordelaise. Dans certaines opérations, le prix du foncier pèse plus de 30% dans le bilan d’opération. Néanmoins, il faut agir plus globalement sur toutes les entrées et, notamment, tous les curseurs dans les bilans de promotion pour neutraliser tous les frais « immatériels » du logement. Plus précisément, nous diminuons les frais de commercialisation (qui représentent entre 12 et 17% du prix parfois) en neutralisant les brokers. En effet, nous avons une assiette élargie d’acheteurs potentiels grâce aux prix accessibles que nous imposons. Si vous produisez plus de logements et en vendez plus, votre chiffre d’affaires ne sera pas impacté, ou alors à la marge. Les prix de construction représentent également une part importante du coût d’une opération et nous cherchons à optimiser avec les architectes et les entreprises l’ordonnancement des travaux afin de réduire les temps de chantier, sans pour autant dégrader la qualité de la construction. »

– Et pour remplir simultanément les deux autres critères, quels sont vos principes d’intervention ?

« Nous avons défini notre intervention autour de plusieurs piliers, dont le cœur est, bien sûr, le logement. Nous avons ainsi une marguerite, dont chaque pétale est un principe de conception. Ces principes se traduisent ensuite dans des cahiers des charges. Nous parvenons, ainsi, à les personnaliser et à intégrer ce qui fait l’intérieur d’un logement (sa typologie, ses caractéristiques intérieures) mais également tout ce qu’il y a autour du logement (le rapport au sol, le contexte d’insertion…). Les plans sont analysés par La Fab et nous entretenons un dialogue tout au long du projet avec toutes les parties-prenantes dans des ateliers de fabrication de la ville : les promoteurs, les bailleurs sociaux, les concepteurs, les collectivités concernées…

Les principes d’intervention disposés en marguerite © La Fab

En activant plusieurs leviers d’action, nous parvenons à obtenir en moyenne des logements plus grands (entre 8 et 10 mètres carrés supplémentaires) et des espaces extérieurs plus généreux que la moyenne observée sur la métropole. Les typologies peuvent être standard mais nous pouvons demander que toutes les pièces du logement disposent d’une fenêtre, comme à dans une opération à Pessac par exemple. Nous imposons systématiquement l’accès à des espaces extérieurs, espaces à vivre essentiels dans le contexte bordelais.

Enfin, nous promouvons une forme urbaine contextualisée et ancrée dans le territoire, s’appuyant sur des architectures et des paysages de qualité. Chaque grand principe se décline également selon les formes architecturales qui évoquent la culture ouvrière ici, des corps de ferme là… Le projet de la Cité de la gare à Bassens, au nord de Bordeaux, est une opération de 40 logements sur un territoire qui a notamment une culture ouvrière et de dockers. Nous avons donc retenu un projet qui traduit cette réalité dans la morphologie-même du bâti : les maisons sont enchâssées, les logements ont de grandes terrasses (40m²). Sur d’autres opérations, comme à Carès Cantinolle à Eysines, les concepteurs sont repartis de morphologies de longères en proposant des logements en bois dans un paysage métropolitain de campagne mais connecté au tramway avec un parking relais. »

Rue Martin Porc, ZAC Carès Cantinolle à Eysines © Pierre Filliquet

– Sur de larges opérations de 300 logements dans des contextes plus périphériques que le cœur de l’agglomération bordelaise, comment intégrez-vous ceux qui sont déjà-là, c’est-à-dire les habitants, et comment insérez-vous les projets dans leurs contextes territoriaux ?

« Nous abordons, ici, un point parfois épineux, celui de « l’acceptabilité des projets » par les gens qui vivent déjà là sur ces sites ou ces territoires. Malgré le succès des opérations, qui se traduit par la location ou la vente des logements, nous rencontrons des difficultés, parfois, à dialoguer avec les voisins. D’abord, une opération représente pour eux des changements de leur cadre de vie et parfois des nuisances. Concrètement, une bonne partie des riverains s’inquiète et rejette le projet au moment des intentions de projet, vive mal la phase de chantier et, paradoxalement, une fois que les logements sont livrés, le mécontentement porte sur le fait qu’il n’y a pas assez de logements abordables et accessibles…

Opération Langevin à Mérignac © Pierre Filliquet

Par ailleurs, nous réfléchissons beaucoup en interne sur cette question de la concertation et de la médiation autour des projets, de la place des riverains mais aussi des habitants du territoire pour qui ces logements sont produits. Nous avons recours à des assistances à maîtrise d’usages afin de débusquer cette parole habitante d’un territoire, entre un discours technique et la parole (parfois « crue ») des riverains.

Enfin, nous avons mis en place des évaluations échelonnées dans le temps (à 1 ou 2 ans puis 5 ans après la livraison). Après 1 ou 2 ans de livraison d’un quartier, ce qui ressort ne porte pas sur la qualité du logement, mais d’abord sur la qualité des services apportés par la collectivité (ramassage des poubelles, gestion des stationnements sur l’espace public…). On touche à des sujets de proximité, de services et de niveaux de services, moins que des retours sur la qualité de vie dans le logement.

La crise sanitaire a sans doute déplacé une partie des attentes vers la qualité du logement : sa spatialité, ses orientations, et son prolongement avec des espaces extérieurs. Tant mieux ! Nous y sommes, et il faut aller encore plus loin dans cette voie ! »

***

L’ouvrage Question à Toits Multiples est à paraître et à partager courant novembre… plus d’informations sous peu !

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