Nous poursuivons aujourd’hui notre analyse de la « ville écologique incontournable ».
A Rennes, les dernières élections municipales ont conforté à la fois la « résistance des partis traditionnels » avec le maintien du Parti Socialiste (Nathalie Appéré réélue maire – liste PS/EELV, 65,3%) mais aussi la percée d’Europe Ecologie Les Verts (EELV[1] – 25% au 1er tour). L’alliance entre les deux partis se poursuit donc dans ce nouveau mandat, avec une mise à l’agenda de questions fortement orientées autour de la transition écologique. Valérie Faucheux, élue maire adjointe aux mobilités et aux déplacements à la ville de Rennes et conseillère métropolitaine à Rennes Métropole[2], nous a expliqué les particularités de la ville et les enjeux de mobilité, sujet phare des programmes des dernières municipales. Comment mettre en œuvre une politique des mobilités intégrée ? Comment diminuer l’utilisation de la voiture en ville mais aussi dans les territoires périurbains et ruraux ? Comment inciter les habitants à prendre le bus ? Toutes ces questions, nous les lui avons posées, à l’aune de la crise que nous traversons et parfois de la « perte de confiance » dans les transports en commun. Retour sur nos échanges.
– Avant de rentrer dans le vif du sujet des « mobilités et déplacements », pourquoi parle-t-on de Rennes comme d’une ville « archipel » ?
Rennes est une ville de près de 250 000 habitants qui a connu et connaît encore aujourd’hui un développement en « archipel » (Jean-Yves Chapuis, Rennes la ville archipel, 2013), ce qui signifie qu’il n’y a pas de « conurbation », c’est-à-dire pas d’urbanisation continue entre la ville-centre et les villes de la banlieue autour. C’est un modèle de développement qui s’est affirmé sous Edmond Hervé (maire PS de 1977 à 2008) et qui a limité l’étalement de Rennes dans un périmètre formé par le périphérique. Il existe une véritable ceinture verte qui l’« encercle ».
Néanmoins, la ville centre entretient un lien étroit avec l’ensemble de son territoire environnant (développement de la Métropole, croissance démographique, gestion des transports…) et avec les 42 autres communes de la Métropole, représentant au total près de 430 000 habitants. La coopération intercommunale est d’ailleurs ancienne avec la création de districts dès la fin des années 1970.
Cette coopération se poursuit aujourd’hui avec l’élaboration du Plan Local d’Urbanisme Intercommunal (PLUi) dont un des enjeux majeurs est la préservation de près de 75 hectares de zones agricoles (à conserver comme « zones agricoles » et non comme « zones à urbaniser »), ce qui prend tout son sens avec les enjeux d’autonomie alimentaire, de qualité de l’air…
– Et quelles sont les spécificités de la ville de Rennes ?
Rennes est connue pour être la plus petite ville de France qui a deux lignes de métro et qui se développe dans un souci d’équité territoriale ! Plus précisément, Rennes agit comme une locomotive économique avec un réel dynamisme autour des campus technologiques : 25% de la population rennaise a moins de 30 ans (les universitaires, les apprentis, les jeunes salariés…) et les entreprises qui gravitent autour ont participé à l’essor d’un écosystème attractif. Avec la hausse de la population, la ville a enclenché, sous les mandats précédents, son processus de renouvellement urbain avec la volonté de demeurer accessible aux habitants, via notamment l’accès au logement. Cela explique que dès le Plan Local de l’Habitat (PLH) voté en 2008, les logements locatifs sociaux (LLS) et ceux destinés à l’accession à la propriété étaient programmés ; qu’on a expérimenté le loyer unique…
– Aujourd’hui, Rennes connait une montée des prix des logements, alors que la ville exerce depuis les années 1970 une politique de maîtrise foncière afin de réguler les prix… Quelle a été la stratégie de la ville pour garantir cet accès au logement ?
La demande en logements a augmenté pour plusieurs raisons : les décohabitations, la proximité avec Paris (1h30 en train), la qualité des services publics etc. et la ville a souhaité augmenter l’offre de logements. Afin de préserver une certaine cohérence des quartiers et des tissus, il a été décidé de « concentrer » son renouvellement sur les grands boulevards (soit 3,9% de la ville) en les densifiant. Les élus étaient favorables à la « montée en hauteur » pour donner des signaux sur les points hauts de la ville. En presque 5 ans, le paysage rennais s’est trouvé « bouleversé » et, même si ce n’est qu’une infime partie de la ville qui s’est densifiée, les boulevards sont devenus les vitrines du développement de Rennes, qui apparait « minérale ». Les nouveaux bâtiments qui ont émergé rue de l’Alma, par exemple, sont en granit, en béton… Ainsi, ce ne sont pas les questions de densification qui peuvent heurter les habitants mais les formes urbaines qui sont produites, les expérimentations, les matériaux utilisés…
– Vous parliez de la rue de l’Alma qui accueille également une nouvelle piste cyclable protégée et de nouvelles façons de circuler avec plus de place faite aux piétons. Quelle est la politique des mobilités menée à Rennes, en particulier à l’aune de la crise sanitaire que nous traversons ?
La qualité de vie passe par moins de voiture en ville et implique un réseau de transport adapté, surtout à Rennes qui connait des problématiques de congestion importantes : la rocade est saturée ; le centre-ville voit des flux de transit avec la logique « WAZE » ; le projet de la deuxième ligne de métro a absorbé une large partie des budgets et les Bus à Haut Niveau de Service (BHNS) sont encore en étude…
Or, le pourcentage d’utilisateurs de vélos est passé de 8% dans les années 1980 à 4% juste avant la crise de la Covid-19 et cette dernière est venue percuter les logiques de report modal avec une perte de confiance dans les transports en commun. Certes, les aménagements cyclables transitoires, qui ont émergé sous la crise, se sont pérennisés mais, à y regarder de plus près, les utilisateurs de vélo sont ceux qui utilisaient auparavant les transports en commun, ce qui libère de la place mais n’empêche pas l’utilisation de la voiture : c’est l’effet « petite ville », avec des étudiants qui se déplacent en voiture.
– Face à ce constat, quelles actions menez-vous pour favoriser les modes doux et réduire la place de la voiture en ville ? D’après vous, faut-il inciter ou contraindre ?
Il faut mener les deux actions de manière concomitante, tout en sachant que réduire la place de la voiture est un processus long, qu’il faut accompagner avec un certain nombre d’aménagements et de mises en service. Le plan de circulation à l’échelle de Rennes et le Plan de Déplacement Urbain (PDU) à l’échelle métropolitaine vont dans ce sens. A titre d’exemple, nous mettons en place une politique incitative à destination des jeunes et, en particulier des étudiants, pour enlever la voiture de leurs habitudes de mobilité via une réduction du prix des transports (réduction de 33% du prix des abonnements depuis décembre 2020 pour les moins de 26 ans), qui doit se poursuivre. La gratuité des transports sera, dans ce sens, étudiée.
Pour inciter à l’utilisation du vélo, nous développons des infrastructures avec des « lignes express de vélo » sécurisées à l’horizon 2024/2025, pour un budget de près de 30 millions d’euros. Pour cela, nous nous appuyons sur l’expertise d’une association rennaise « Rayon d’action », qui représente près de 800 adhérents et qui fait remonter les usages lors de réunions mensuelles avec les services.
– Et quid de l’espace périurbain qui « gravite » autour de Rennes et où l’utilisation de la voiture est essentielle pour les mobilités ?
On a plusieurs actions qui se formalisent au sein du PDU afin de développer, dans l’espace périurbain et rural, une offre de transport alternative et suffisamment efficace pour réduire l’utilisation de la voiture. D’abord, la deuxième ligne du métro, automatisée comme la première, doit libérer du temps des chauffeurs qui circulaient en ville pour renforcer l’offre de services en première couronne. Entre les communes des 2ème et 3ème couronnes, nous développons une ligne de covoiturage, la ligne « START » (Le Rheu, Saint-Grégoire, covoiturage rémunéré) et nous installons des parkings relais en entrée de ville, en lien avec les stations de métro…
Au fur et à mesure, on met en place des possibilités alternatives et nous communiquons sur ces mesures : on explique aux métropolitains pourquoi il y a moins de places de parkings, que le week-end, il y a le pass famille, le pass pluriel, des parkings relais… Plus généralement, les outils existent mais sont « mal-connus ».
– Il y a donc, dans la réussite des actions pour changer les comportements de mobilité, une grande part de pédagogie ?
Il s’agit de s’attaquer aux « amalgames » : des commerçants ont accusé les pistes cyclables de réduire la fréquentation de leurs commerces par exemple, alors que la diminution de la place de la voiture offre plus de place pour l’espace public piéton et les terrasses ! Finalement, les questions de mobilités ne sont pas des questions « sereines » d’où l’importance de la pédagogie. Nous y adossons, par ailleurs, les questions d’apaisement des rapports en ville et d’inclusivité, quant à la place pour les personnes à mobilité réduite (PRM) entre autres.
Il y a, enfin, le « temps de l’acceptabilité » des choix faits pour les mobilités dans l’espace public. Dans ce cadre-là, un large processus de concertation en plusieurs temps est mené sur certaines zones, dans le cadre de « Rennes 2030 ». Plusieurs espaces publics font l’objet d’une concertation, qui va débuter, pour imaginer leur futur : rue d’Antrain où aucun bus ne passera plus et qui sera végétalisée, sur les boucles limitées à des circulations pour les riverains, sur les parkings en ouvrage etc.
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Cet interview s’inscrit dans la continuité des articles rédigés par CITY Linked dans le cadre de ses analyses prospectives sur la ville de demain. Dans deux articles précédents, nous analysions, à l’issue du premier tour des municipales de 2020, quels étaient les sujets portés dans le débat public ainsi que les rapports de force politique qui se redessinaient ; au sortir du second tour, nous portions notre attention sur les équilibres territoriaux et les dynamiques d’aménagement à venir (densification VS préservation de la qualité de vie, la crise du logement, le « verdissement » des programmes (traversant quasiment tout l’échiquier politique) ainsi que la place donnée aux modes de mobilité et à l’environnement. Plus récemment, un article sur la place de la voiture en ville fait état des enjeux d’aménagement dans la ville écologique de demain.
[1] Plus précisément, l’alliance formée par Europe Ecologie les Verts, L’association Confluences, l’Union Démocratique Bretonne et Nouvelle Donne. [2] Valérie Faucheux est également co-présidente du groupe écologiste et citoyen.