Benoît Zimberger, concepteur d’écosystème urbain au sein du groupe Opale Alsei, nous a partagé son expérience au regard du territoire où il intervient : L’Île de La Réunion. Son action s’envisage à trois niveaux : celui, d’abord, de l’aménagement urbain pour penser et dessiner les écosystèmes et les services urbains ; celui du développement immobilier pour assurer une offre de logements répondant aux besoins locaux ; enfin, à l’échelle du lien social et de la culture pour contextualiser la production et créer des logements où il fait « bon » vivre. En prenant appui sur le projet Cœur de Ville au sein de la ville de La Possession, il nous a présenté plusieurs principes qui ont illustré, dans notre ouvrage Question à Toits Multiples (focus page 182), comment le logement peut être à l’épreuve du temps, dans tous les sens du terme. Le réchauffement climatique nous contraint à revoir nos procédés et nous pourrions d’ores et déjà nous inspirer des bonnes pratiques des climats tropicaux !
– Pouvez-vous, d’abord, nous expliquer comment se traduit la crise du logement sur l’île de La Réunion ?
« Localement, La Réunion connait une crise du logement qui perdure car la production ne parvient pas à répondre à la demande en logements (déficit évalué à 20 000 logements malgré un rattrapage important ces dernières années, notamment via les opérations de résorption de l’habitat insalubre) et le territoire souffre d’une absence de planification urbaine. Par ailleurs, près de 70% de la population est éligible au logement social.
De manière générale, les attentes locales sociétales évoluent fortement (transition démographique récente et rapide, évolutions des modes de vie), tandis que la production de logements a fortement été standardisée par l’importation des modèles de logements issus de la France Métropolitaine. On est passé d’un modèle de logements fait principalement de cases légères, nommées « Kaz a ter » à un habitat collectif, sur un modèle métropolitain, appelé « Kaz en ler ». Aussi, tout l’enjeu aujourd’hui est de contribuer à la culture locale afin de reconnecter la production de logements au contexte climatique et sociologique de l’île. »
– Sur le projet que vous menez pour produire un nouveau quartier au sein de La Possession, comment envisagez-vous le logement dans son environnement ?
« Pour le quartier Cœur de Ville de La Possession, ce sont 1 850 logements qui sont programmés mais également 5 000 m² de bureaux, 6 000m² de commerces et 10 000 m² d’équipements publics. Nous nous positionnons comme des concepteurs d’écosystèmes urbains : nous n’envisageons pas le logement comme un objet décorrélé de son environnement, ni comme un simple « bien » qui pourrait être standardisé, mais comme un service devant apporter une qualité d’usage. Habiter un logement, c’est d’abord habiter un quartier, avec toutes les aménités que cela suppose : des commerces de proximité, des services… Depuis 2012, le groupe de promotion Opale Alsei s’est associé avec la Société d’Economie Mixte (SEM) d’aménagement, LA SEMADER, via une structure commune ICV- Immobilière Cœur de Ville, pour donner vie à ce nouveau quartier et à ce programme ambitieux.
Nous promouvons ainsi une ville des courtes distances en intégrant dans un même quartier logement, emplois et services. Il y a également un objectif de développement durable afin d’éviter le « tout voiture » et favoriser les mobilités douces. Pourtant, ici, la voiture est « reine », certains habitants s’attendent même à ce que leur véhicule puisse toujours être visible depuis le logement ! Face à cet attachement, nous avons privilégié la « théorie de l’exception » : avoir une voiture doit devenir l’exception et non plus la règle. Pour cela, nous lui consacrons moins de place dans les aménagements, en favorisant les autres modes de déplacement. On a conçu des parkings mutualisés sur un étage (au lieu de deux) et on imagine, d’emblée, un second projet de parking (qui répond à un besoin ponctuellement), qui est réversible pour le faire évoluer a posteriori en bureaux, logements ou pour le démonter. Néanmoins, pour voir baisser le taux de motorisation durablement, une offre de transports en commun alternative doit desservir le quartier. Ici, la remise en question du tramway met à mal cette ambition malheureusement. »
– Les logements doivent donc répondre autant aux attentes des habitants qu’aux exigences climatiques. Comment vous adaptez-vous au contexte tropical et assurez-vous un confort thermique et d’usage au sein des logements ?
« Cela passe d’abord par la création d’un habitat « bioclimatique » : le bâtiment de logements cherche à exploiter l’ensemble des ressources naturelles pour les transformer en énergie propre. Les ressources de chaleur sur le toit sont exploitées via des panneaux photovoltaïques pour produire de l’énergie. C’est le concept « Met’en ler’ » qui consiste à vivre et exploiter la toiture, soit la 5ème façade du logement. En effet, il ne semble pas pertinent sur cette île, soumise à des rayonnements solaires importants et de fortes intempéries, de continuer à développer des terrasses, inexploitées, sur les toits ! Il s’agit plutôt d’éviter toute exposition directe au soleil via une sur-toiture qui protège le toit de la surchauffe et/ou en y créant des lieux à vivre et des jardins partagés. Les énergies renouvelables (principalement photovoltaïque…) couvrent près de 50 % de la consommation électrique des immeubles.
La réflexion sur la ventilation naturelle des logements traversants est également élargie à l’échelle de l’aménagent du quartier pour créer des îlots de fraicheur et mettre en œuvre un principe d’aéraulique urbaine (ventilation naturelle de la trame urbaine, dont la maquette est passée par une modélisation en soufflerie au laboratoire Eiffel). On ne peut pas faire de l’habitat bioclimatique sans un aménagement urbain aéré. »
– Comment vous inspirez-vous de la culture locale pour concevoir les logements adaptables et résilients ? Comment intégrez-vous ces éléments ?
« Nous avons une attention particulière sur les « entre-deux » : les intermédiaires, ces lieux qui ne sont pas dans l’espace public, mais pas encore dans l’intime. Toute la qualité du vivre ensemble est « entre » : on est plus dans la rue, mais pas encore dans la chambre. La rencontre, la vie se fait entre le pas de la porte et les mètres devant. Nous concevons des coursives, chères aux personnes âgées notamment, et créons des « SAS » d’entrée pour créer des paliers (avec des séchoirs par exemple).
Les logements s’inspirent de l’architecture vernaculaire avec la conception de varangues : des terrasses composées de trois murs, véritables espaces de vie, extension extérieure des logements, « pièces en plus » qui protègent de la chaleur mais aussi des fortes pluies. Par ailleurs, l’ensemble de la production est sur pilotis : par rapport à des climats tempérés, où la réglementation va privilégier un modèle de « thermos », c’est-à-dire isoler des bâtiments compacts pour conserver la chaleur, le modèle tropical appelle une logique inverse et c’est l’exemple du bâtiment sur pilotis. Participant à l’aéraulique urbaine, c’est aussi un espace qui peut accueillir le parking sous le logement ou se transformer en un box qui viendrait se greffer pour accueillir des activités d’associations (type services à la personne), d’artisanat etc. C’est ainsi un modèle évolutif qui voit le jour et qui rappelle un impératif de frugalité et d’intégration de la culture comme source de savoir-faire. »
– Vous intégrez ainsi pleinement les bienfaits de l’économie locale dans un modèle évolutif et résilient. Et demain, quels sont les enjeux à adresser ?
« Le « vivre ensemble », qui consiste à promouvoir les lieux de rencontre et d’échange. Avec l’urbanisation très forte, c’est comme si les habitants avaient été déconnectés de la nature… et nous essayons de faire l’inverse. Nous promouvons des jardins partagés, en cœur d’îlot mais aussi sur les toits-terrasses qui redynamisent l’architecture réunionnaise. Le paysage est un véritable élément de l’urbanisme dont on ne mesure jamais le bénéfice social. La culture est un moteur de ce « vivre-ensemble » et nous travaillons à gommer les marqueurs sociaux entre les types d’habitat.
La résilience des logements passe enfin par la ville productive et la mise en avant de modèles économiques intermédiaires. Nous portons des sujets de production alimentaire en cœur d’îlot, sur les toitures via un hub d’agriculture urbaine, afin de développer dans l’autonomie alimentaire au sein de l’écoquartier. La frugalité en devient plus qu’un concept, mais bien un principe à mettre en œuvre qui passe par une réduction de l’empreinte carbone dans la fabrication et le fonctionnement du quartier. »
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