L’opérateur immobilier P2i prône une approche intégrée et contextualisée de ses projets urbains comme d’immobiliers résidentiels et d’activités. Implanté dans des grandes villes françaises et leurs périphéries[1], P2i développe des opérations « sur-mesure » en cœur de villes denses pour refaire « la ville sur la ville », penser le logement de demain, s’adapter aux évolutions sociétales…
En particulier, P2i transforme, dans le centre-ville de Nantes[2], deux pavillons en un immeuble de près de 1 400 m² de bureaux. L’agence DV Conception, outre le travail sur l’insertion urbaine du projet et son caractère végétal, a d’emblée conçu le bâti pour être réversible et potentiellement mutable en logements.
Retour sur nos échanges sur la réversibilité avec Gilles Madre, Président de P2i et Bruno del Valle, architecte fondateur de DV Conception, dans la continuité de nos réflexions menées pour Question à Toits Multiples et sur la ville écologique, devenue incontournable !
Commençons par une question assez large : quelles sont vos préoccupations sur le logement aujourd’hui et sur l’immobilier (résidentiel, tertiaire, commercial…) ?
Gilles MADRE : « On assiste à une montée des prix immobiliers, qui limite les parcours résidentiels des ménages et leur accès au logement ! Cette montée des prix a plusieurs causes dont celle de la pénurie de logements : l’acte de construction, voire d’aménagement de la ville, a diminué, raréfiant une partie de l’offre neuve. Le choc d’offre, censé réguler les prix, se fait toujours attendre…
Face à cette montée des prix, il y a des besoins criants : 10 millions de « pauvres » (soit près de 15% des Français, avec une large part de personnes âgées) et plusieurs franges de la population ont des difficultés à se loger alors que c’est un besoin primaire et immédiat.
La pandémie de la Covid-19 et le confinement ont replacé le logement au cœur de nos préoccupations avec le télétravail, la qualité de vie… Le logement est un élément social, de sécurité, patrimonial, qui compose notre retraite… qui a un rôle qui le dépasse mais comment le vit-on aujourd’hui ? Dans ce contexte, l’habitat devient un élément anxiogène ou non, confort ou non, avec des annexes ou non… Il est à « Toits Multiples » comme vous le dites, nécessaire si on veut travailler demain, pour se projeter dans sa vie ! Pendant le confinement, il s’est révélé un refuge… Il faut le remettre au centre, comme un vrai sujet sociétal. »
Bruno DEL VALLE : « Actuellement, la tension sociale qui existe entre individualité et collectivité, s’illustre dans la conception des façades, donc à la frontière entre l’intérieur et l’extérieur. Ces façades sont le siège complexités techniques importantes (thermique, sismique, acoustique, incendie…) et il en découle, parfois, une perte « d’épaisseur » entre l’espace public et l’espace privé. Cela se traduit par la disparition des espaces privatifs extérieurs (balcons, loggias), qu’une plus grande surface vitrée par exemple ne pourra pas compenser.
Cette altération de l’usage en rejoint une autre, conséquence de la tension foncière cette fois : l’appauvrissement des typologies des logements. L’intégration des cuisines dans les séjours est, désormais, normalisée et s’ajoute, maintenant, celle des chambres dans les séjours ! La question des usages doit alors revenir au premier plan pour compenser ces pertes, en travaillant sur les mises en mouvement, les effets de profondeur par exemple et la revalorisation des espaces périphériques aux logements : parties privatives extérieures, parties communes intérieures et extérieures.
Enfin, la rénovation/réhabilitation : les constructions neuves ne représentent que 1% des logements existants et, même si la RE-2020 est ambitieuse, elle ne porte que sur ces dernières… La pression mise sur le neuf pourrait être rééquilibrée pour porter les efforts sur l’existant. »
Justement, comment intégrez-vous ces préoccupations à « Toits Multiples » dans votre approche « sur-mesure » et la conception de vos projets immobiliers ou urbains ?
GM : « Chaque ville a ses propres problématiques, ses propres logiques d’aménagement, ses propres paramètres à gérer en fonction des contraintes et de chaque histoire : la prise en compte de l’objectif de Zéro Artificialisation Nette des sols (ZAN), les équipements publics, les transports en commun, la mixité sociale, l’aménagement de l’espace… et dans chaque écosystème, il faut répondre à des besoins. Le rôle du promoteur est de participer à l’aménagement des villes, en concertation avec des collectivités, en proposant des logements décents, des parcours résidentiels, des services, commerces, activités…
Aujourd’hui, l’image du promoteur est peu valorisée alors qu’il apporte des réponses concrètes. Notre approche « sur-mesure » vise à donner du sens aux projets que nous portons, et à construire des bâtiments les plus adaptés à la situation : en utilisant des matériaux pérennes ainsi qu’en ayant du bon sens sur les différents usages. »
BdV : « Pour rebondir sur le « sur-mesure » et partager notre vision d’architecte, nous faisons de la couture urbaine, plus précisément du « reprisage », surtout lorsqu’on refait la ville dans le diffus. Notre projet doit alors s’intégrer dans son contexte, dans un environnent déjà constitué. Chaque projet est unique, ce qui limite leur reproductibilité selon les contextes ou les territoires. »
Quels sont, selon vous, les défis de la ville de demain pour répondre aux besoins ?
GM : « Un des défis est de repenser les usages dans un contexte de « refaire la ville sur la ville » et de réinventer nos pratiques conditionnées par une certaine vision de l’urbanisme : on a construit la ville en indiquant tel usage, tel usage ou tel usage, à tel, tel ou tel endroit, laissant peu de place à une certaine évolution des bâtiments ou des espaces.
Le ZAN pose également la question de la stratégie de renouvellement urbain à mobiliser pour avoir accès aux logements en centre-ville. La raréfaction des opportunités foncières et l’augmentation des coûts de construction (normes, surface de pleine terre à garantir, complication des capacités de production des entreprises…) posent la question de comment faire baisser les prix ! Nous avons connu l’étalement urbain, dans la « pampa », parce que trop cher en ville… »
BdV : « Depuis une vingtaine d’années, le phénomène de refaire la ville dans le diffus a pris de l’ampleur, permettant de renouveler les tissus mais entrainant aussi plus de réglementations sur ces secteurs… au point que les règlements d’urbanisme deviennent notre principal cahier des charges et étouffent parfois celui de nos clients. Ce contrôle étendu peut freiner les faisabilités. On veut « tout » rentrer dans « tous » les projets et ce n’est pas toujours possible ! Les solutions passent nécessairement par le compromis et le consensus ainsi que par les questions de mixité à l’échelle des lots, mais aussi du bâtiment, voire des étages au sein d’un immeuble. Cela permet de retrouver du souffle. Cette recherche de liberté de proposition est le réel défis de demain quand on se penche sur la réglementation ! »
GM : « Intervient donc la question du temps qui n’est pas le même entre les règles d’urbanisme, le projet et les usages. A l’échelle du temps du projet immobilier, qui s’évalue de 6 à 8 ans, il s’agit de construire à un instant t un immeuble en pensant aux usages de demain. Or, cela en s’inscrivant dans les règles d’urbanisme, dont les réflexions figent les usages et les destinations des sols. »
Dès lors, comment le projet du boulevard Jean XXIII à Nantes illustre-t-il la prise en compte de ces différents temps à intégrer ?
GM : « Il est conçu d’emblée comme réversible et la réversibilité est un sujet innovant qui apporte une réponse pertinente à l’adaptation constante et rapide de l’offre aux besoins. On est dans une approche d’aménagement : nous nous situons en cœur de ville, en face d’un arrêt de tramway, avec à proximité des services, des commerces… Dans ce sens, la durée de vie limitée du bâtiment est intégrée dans sa capacité à s’adapter aux usages futurs. »
BdV : « La pression foncière est importante sur ce secteur et l’équilibre financier a orienté le programme vers du bureau, du fait notamment que le logement représentait un ensemble de contraintes plus denses. Néanmoins, si la programmation de bureau peut trouver sa place dans ce secteur, l’objectif était aussi de ne pas se fermer à d’autres types de programmes, dont du logement.
GM : « On anticipe alors les contraintes techniques en mixant celles des logements et celles des activités (même si on ne peut pas anticiper toutes les obligations réglementaires) : si demain le bâtiment doit être transformé, on évite des blocages ou des infaisabilités car on aura pensé des logements dès le début. La transformation se fera, par ailleurs, à moindre coût car une grande partie des études sera déjà menée.
Concrètement, lors du dépôt du permis de construire (PC), on a intégré une distribution des potentiels futurs logements en prévoyant l’emplacement des gaines techniques, des annexes et des espaces extérieurs. La crise de la Covid-19 l’a montré, les habitants veulent des espaces extérieurs. Néanmoins, le PC a été attaqué plusieurs fois, du fait de ces annexes et terrasses… et les recours ne font pas l’intérêt des projets… Un enjeu majeur consiste également à faire remonter la concertation au moment de l’élaboration des PLU, voire de limiter les recours. »
Plans du R+1 du bâtiment selon une distribution en bureau (programme initial) ou en logement (programme potentiel dans le cas d’une transformation ultérieure) © DV Conception
BdV : « La réversibilité n’a donc pas représenté une « contrainte » mais un moyen d’aller chercher un degré de liberté supplémentaire, de trouver le « souffle » décrit précédemment, tout en veillant à la qualité du projet. Les questions d’insertion sont également cruciales. Nous avons eu pour parti-pris de ne pas créer de front urbain avec le bâtiment mitoyen mais une rupture par un « décaissement » du bâtiment. De même, pour conserver la qualité d’usage du square de l’immeuble résidentiel de l’autre côté, nous avons conservé un espace planté avec un retrait de façade libérant également la vue vers le fond de parcelle depuis l’espace public.
Pour aller plus loin, on connait les mêmes problématiques au sein d’un bâtiment qu’au sein d’une ville car on cherche à anticiper les usages d’un immeuble, comme les évolutions d’un quartier… On anticipe autant que possible les questions de réglementation énergétique, le raccordement aux réseaux et les types de fluides… »
GM : « le PC est en cours d’instruction et nous verrons après sa livraison comment évolueront les bureaux, et leurs usages ! »
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[1] Nantes, Angers, Orléans, Paris, Bordeaux, Toulouse, Lyon, Tours, Le Mans, La Rochelle
[2] Opération développée au 40-42 boulevard Jean XXIII, à Nantes (44)