Avec la rentrée scolaire, de nombreuses questions se posent sur l’organisation et le fonctionnement des structures qui accueillent les jeunes élèves, les collégiens, les lycéens… : comment respecter les mesures barrières et la distanciation physique dans des espaces contraints ? Comment faire adopter les gestes barrières à des enfants souvent très nombreux par classe etc. ?
Aussi, la crise de la Covid-19 a remis au-devant de la scène le rôle des collèges avec les risques de décrochage scolaire accrus qu’a engendrés la période de confinement et la persistance des inégalités sociales au sein des structures éducatives.
Pour mieux saisir la mise en œuvre de modes d’apprentissage plus inclusifs et les futurs usages potentiels au sein des collèges, nous avons interrogé Jérôme Saltet, cofondateur de Play Bac et auteur de Changer le collège, c’est possible ! avec André Giordan. Jérôme est convaincu que le projet architectural et urbain doit se mettre au service d’un projet plus large qui vise l’inclusivité et l’apprentissage de toutes et tous.
– Nous essayons de décrypter comment réinventer un projet pédagogique au travers d’une restructuration du bâti et d’aménagement des collèges. Mais, tout d’abord, pouvez-vous nous expliquer la différence entre un projet éducatif et un projet pédagogique, qui semblent être des synonymes en matière d’éducation ?
« Si le système éducatif fonctionnait bien, ces deux projets seraient des synonymes et serviraient un même objectif. Le projet pédagogique, d’abord, renvoie au projet mené par l’établissement et en particulier par les enseignants. Le projet éducatif, de son côté, intègre un jeune élève dans une dimension plus large et considère tous les aspects de son développement personnel et éducatif.
Pour être plus précis, un projet éducatif ne peut pas faire abstraction des activités qui sont hors du cadre scolaire et qui impliquent les éducateurs, les associations, les clubs de sport, les parents… en plus de toute la communauté pédagogique. De mon point de vue, on ne peut pas réduire un projet éducatif à son aspect pédagogique sans prendre en compte toutes les activités extra-scolaires qui participent à l’épanouissement éducatif d’un élève, sa réussite et la continuité de son parcours ».
– Dès lors, comment faire le lien entre les deux ?
« Le lien entre le projet pédagogique et le projet éducatif se fait en changeant d’échelle pour considérer et concevoir le collège afin qu’il participe à la réussite du quartier. Mais, il s’agit d’emblée de rappeler un point, qui devrait être une évidence et qui est fondamental : le bâtiment, l’architecture et les aménagements, doivent être au service d’un projet éducatif plus large. Et cette dimension doit toujours être vraie.
C’est dans une « une logique de quartier apprenant » qu’il faut placer le collège afin que le projet pédagogique s’intègre dans le projet éducatif, qui dépasse les limites du collège. C’est à une échelle de quartier que le projet éducatif se construit.
Néanmoins, on constate qu’en matière d’éducation, le projet éducatif arrive souvent après le bâtiment… quand il arrive. Il se peut qu’il ne soit pas du tout pris en compte, voire que le bâtiment desserve le projet éducatif ! En effet, le bâtiment implique un ensemble de réflexions « engageantes » et, bien souvent, l’architecture s’impose. C’est pourquoi, il faut parvenir à faire naître un projet éducatif avant que le bâtiment ne soit dessiné et que les plans ne soient arrêtés. Au moment où on peut choisir la forme du bâtiment, la taille des salles et toutes ses variantes, c’est mieux de « savoir dans quel genre de projet on s’engage ».
– Comment réinventer un projet éducatif lorsque l’on construit un nouveau collège ?
« Dès lors que le projet éducatif a été fixé, il s’agit de travailler sur les cloisons, les ouvertures des espaces, la fonctionnalité, le mobilier, le numérique, la mise à niveau énergétique etc.
Il y a, néanmoins, deux limites majeures dans le processus de conception des collèges.
La première limite est la surdéfinition des espaces, qui n’ont plus de capacité d’évolution : quand on construit un projet, on fait des erreurs, avec des idées qui sont « bonnes sur le papier » et vraies en 2020 mais qui ne le seront pas en 2030, donc il faut avoir des projets agiles, élastiques. Il faut éviter l’écueil de vouloir « trop » définir les espaces, qui n’ont pas de potentiels d’évolution dans le temps.
La deuxième limite est liée à la chaîne de construction et à la temporalité du projet, le « timing », qui est souvent raccourci et peu inclusif par rapport à l’ensemble des parties prenantes du projet. Il faut défaire la chaîne de construction « classique » et faire intervenir les parties prenantes du projet et de la vie éducative du quartier le plus en amont possible. »
– A votre sens, quelle est la méthode pour inclure, en amont du projet, l’ensemble de ces parties prenantes ? Comment changer d’échelle pour le collège ?
« L’idée initiale est qu’il faut désosser le projet pédagogique pour l’exprimer en très grands principes, qui sont suffisamment forts pour impacter le bâtiment, mais qui sont suffisamment généraux pour laisser une place à l’appropriation par chacun.
En énonçant d’abord des grands principes éducatifs, ces derniers deviennent de grandes structures qui s’écrivent ensuite plus en détail et qui s’imposent à l’architecture du bâtiment. Dans la construction du projet pédagogique, il est essentiel de définir, dans l’ordre, l’objectif éducatif global à atteindre puis les moyens pour y parvenir.
Schématiquement, les étapes sont :
- Définir l’objectif, tel que « former des citoyens responsables, autonomes, entreprenants et heureux ». C’est un objectif qui peut être partagé, qui est affiché et auquel le territoire peut participer.
- Clarifier la promesse qui est différente de l’objectif. L’objectif est défini sur un temps tellement long qu’il est difficile de se l’approprier individu par individu. On ne peut pas l’énoncer à un jeune tel quel mais on peut lui promettre qu’il acquerra un socle commun éducatif et qu’il choisira son orientation.
- Avoir une stratégie pour remplir la mission éducative. Je prends l’exemple de la stratégie que nous avons développée avec « le collège du désir d’apprendre » où donner envie d’apprendre devient un pilier, un socle fort pour concevoir ensuite les espaces.
Ces trois étapes doivent être partagées et écrites formellement avant la conception d’une structure éducative et d’un collège.
- Déterminer des moyens et les procédés, qui peuvent s’interchanger, se multiplier, s’équilibrer… mais qui doivent tous répondre à l’objectif global. La taille des salles, l’importance de telle ou telle discipline, l’évaluation des élèves… n’ont aucun intérêt en soi mais un intérêt s’ils permettent d’atteindre l’objectif. La conception a, dès lors, toute sa place et découle des objectifs, qui imprègnent le bâti.
Par exemple, la question ne va pas être comment dimensionner le CDI, mais : de quel instrument qu’on appellerait CDI j’aurais besoin pour le projet que je définis ? Si on a besoin d’un centre de ressources, cela découle de l’objectif ; et le dimensionnement arrive en fin de réflexion.
– Mais pourtant, des objectifs éducatifs existent déjà ?
« Justement, on a tendance, lorsque l’on monte une politique publique à s’écharper sur les moyens, sans définir l’objectif. On le constate à l’échelle de l’Education Nationale, avec un système qui dépense près de 60 milliards d’euros par an pour le 2nd degré, sans objectif clarifié finalement. Là, on parle du système dans sa globalité, mais c’est le même principe pour un établissement avec plus de 50 professionnels, qui travaillent chacun dans leurs spécialités, sans ligne directrice claire.
Par ailleurs, il ne faut pas estimer d’avance qu’à partir d’un objectif émis, la promesse et la stratégie sont consensuels. Il faut travailler sur l’explicitation de l’objectif, car l’implicite ne fonctionne pas et il y a une diversité de convictions et d’idées. Par exemple, l’objectif de l’école, est-ce l’acquisition ou la transmission de savoir ? Je peux considérer que l’objectif de l’éducation, c’est la réussite de la vie professionnelle, tout comme le bonheur ou le bien-être… ou la formation des élites ! Les idées sont très différentes et leurs concrétisations passent par des modes d’emplois différents… et donc des bâtiments différents. »
– Pouvez-vous nous parler de votre travail à Mantes-la-Jolie et du Nouveau collège ?
« Le Nouveau collège de Mantes-la-Jolie est un projet démarré en 2015. C’est la construction d’un nouveau Collège qui vient remplacer deux anciens qui vont fermer au Val Fourré.Le Nouveau Collège s’inscrit dans une logique de « quartier apprenant ». En effet, la municipalité, de concert avec le Conseil Départemental des Yvelines, a mené à un travail de certification de « ville apprenante » auprès du réseau mondial des « villes apprenantes » de l’UNESCO, né en 2012. La réflexion menée sur le nouveau collège dépasse alors le quartier du Val Fourré pour avoir une résonance dans toute la ville.
L’objectif est que le collège s’ouvre sur la ville et que le quartier soit au service de la réussite du collège. Ainsi, les équipements sont mutualisés : le gymnase déjà présent peut être utilisé pour les cours de sport ; le nouvel amphithéâtre est construit de telle manière au sein du collège qu’il soit accessible à l’ensemble de la ville en dehors des heures de cours…
Un exemple est celui du travail avec les parents car il faut impliquer les familles, leur donner envie et partager le projet. D’autant plus qu’un projet comme celui-ci peut être anxiogène, pour certaines familles qui ne possèdent pas les codes de l’école. Il faut rapprocher l’école des parents. Ainsi, il y a un potager pédagogique dans l’enceinte du collège qui permettra aux parents de s’impliquer dans l’entretien et la consommation. Il faut bien sûr assurer un accompagnement pour qu’il fonctionne.
Peut-être que la leçon principale du collège de Mantes-la-Jolie est le « décloisonnement » qui s’est opéré, entre les responsabilités, quelle que soit les étapes de réflexion, les disciplines… Le tout s’inscrit dans un dialogue allant des élus, aux professeurs, aux parents. Le décloisonnement, pour exister, a besoin d’une mission fédératrice.
Exprimer un objectif de manière ambitieuse, humaniste, voire noble, et qui transcende, permet d’agréger les compétences, qui sinon dialoguent peu entre elles. Se mettre au service d’un objectif suscite également de la passion, du désir et on retrouve du sens. C’est exaltant d’être au service de cette mission et on est prêt à travailler ensemble. »
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Pour aller plus loin :
Jérôme Saltet, André Giordan, Changer le collège c’est possible ! Et pour nos enfants c’est urgent, Paris, Edition Play Bac, 2010
François Dubet, Marie Duru-Bellat, 10 propositions pour changer d’École, Paris, Edition du Seuil, 2015
Interview de François Dubet, Professeur de sociologie à l’université de Bordeaux et directeur d’étude à l’EHESS, l’école des hautes études en science sociales, par Éric Delvaux, « L’invité du Week-end », France Inter, le 30 août 2020