Stéphane Rouault, architecte-co fondateur de l’agence Lemérou Architecture, nous avait présenté le principe de « l’entre-pièces », dans le cadre de notre ouvrage Question à Toits Multiples (focus disponible page 155). « L’entre-pièces » est un petit espace situé entre deux pièces, cuisine et salle de bain ou bien chambre et salle de bain ou encore chambre et cuisine… qui s’apparente à un cellier dont on aurait augmenté les usages possibles et qui peut à loisir servir d’extension en prolongement des pièces adjacentes (réserves pour la cuisine, buanderie, atelier voire même bureau pour la chambre…). Dans la continuité, nous avons souhaité aborder un autre principe développé par l’agence Lemérou Architecture : le volume capable pour produire des logements (et des parkings). C’est accompagnés de Laëtitia Mérimée, également architecte-co fondatrice, que nous avons décortiqué leur projet au sein du quartier Brazza à Bordeaux.
– Tout d’abord, je vais vous poser la même question que l’on pose à la fin de notre ouvrage Question à Toits Multiples : « l’avez-vous bien lu » ? Et si oui, quel retour pouvez-vous nous faire ?
SR : En effet, c’est la question que vous posez pour introduire votre QCM à la fin de l’ouvrage… qui est dense et riche ! De mon côté, j’ai plus particulièrement lu la première partie analytique qui replace le logement dans son contexte global. En tant qu’architecte, j’étais plus intéressé par ces éléments qui décryptent l’état du logement aujourd’hui et les mécanismes de production, surtout ceux politiques… La deuxième partie, sur les pratiques dans la production du logement, plus opérationnelle, m’est plus familière. Les exemples y sont riches et nombreux et permettent de donner à voir les tendances élaborées et les interconnexions entre aménageurs, promoteurs… Enfin, la partie prospective a également retenu mon attention car les questions posées permettent d’être partagées et de réfléchir ensemble au logement.
Une de mes interrogations porte sur l’entrée « dans » le logement avec la question du plan et des typologies, qui me semble essentielle. Le plan permet de décortiquer sa qualité spatiale et les usages…
– Des plans de logements ont été mis en infographies : l’un, en particulier, donne à voir la grande taille des logements produits dans les années 1970 que nous avons comparée avec la production actuelle. Et le constat est sans appel : des mètres carrés plus petits et plus chers. La crise de la Covid-19 a, d’ailleurs, remis cette question au « premier plan ».
SR : La crise de la Covid-19 et le confinement permettent de requestionner un certain nombre d’éléments qui étaient jusqu’alors pris pour acquis, dont la typologie des logements, qui a subi une forte dégradation. Votre ouvrage le montre par ailleurs : les mécanismes économiques sont en partie responsables de cet appauvrissement des surfaces, voire de la place réduite faite à la réflexion et à la conception. Il faudrait même aller plus loin en montrant la traduction des implications financières sur les plans et sur la nature des typologies. Un moyen de pallier la réduction systématique des surfaces serait de raisonner en bloc, et non en m², c’est-à-dire à la pièce.
– Et justement, le volume capable peut apparaître comme un moyen pour repenser les typologies de logements… Avant de revenir sur ce principe, pouvez-vous introduire le projet que vous avez conçu, au sein de l’opération Brazza à Bordeaux ?
LM : Nous avons été sollicités pour concevoir 20 logements participatifs en accession sociale, en volume capable, au-dessus d’un parking silo de 3 étages. Du fait de la proximité avec la Garonne, tous les rez-de-chaussée du quartier de 3,5m sous plafond sont réversibles et doivent permettre la circulation de l’eau en cas de crue. Le rez-de-chaussée, ici, dispose, en plus d’un étage de parking, des locaux techniques, des locaux vélos, mais également d’une salle polyvalente pour les futurs habitants du projet. Les surfaces habitables, elles, sont situées en R+3 et R+4. Mettre les logements en hauteur prenait d’autant plus de sens que ce bâtiment est plus bas que ceux environnants. Ici, le futur habitant est devenu l’élément principal et la qualité des logements passent aussi par les vues offertes sur le paysage.
– Pouvez-vous nous expliquer comment est née l’idée de développer des logements au-dessus d’un parking silo, au-delà de la réversibilité et de la « protection » des logements que cela permet par rapport à la Garonne ?
LM : Le projet s’inscrit dans le nouveau quartier Brazza, à Bordeaux, en face des Bassins à Flots. Propre à l’urbanisme développé à Bordeaux (urbanisme négocié), le plan guide de l’urbaniste Youssef Tohmé et de l’architecte paysagiste Michel Desvigne est amené à se modifier selon un principe de cohérence et pertinence urbaine sur des sujets tels que la hauteur, l’implantation des bâtiments, les volumes etc… Lors des ateliers menés, nous nous sommes rendu compte que deux volumes capables étaient juxtaposés : un volume capable de 20 logements et un volume capable de stationnements. Au lieu de juxtaposer ces 2 volumes capables et d’avoir des logements en RDC face à un parking, il a été décidé avec les autres opérateurs de créer un parking, sur lequel on viendrait construire les logements. Pour des raisons techniques, nous en avons récupéré la conception.
– Dès lors, pour mieux comprendre, qu’est-ce qu’un volume capable exactement ?
SR : Produire du logement en volume capable consiste à proposer à des futurs acquéreurs des volumes d’habitation, qu’ils aménagent eux-mêmes par la suite. Autrement dit, c’est un volume de logement livré brut, une enveloppe donc, et chacun vient y faire ses travaux. Nous accompagnons, par ailleurs, les futurs habitants avec un plan de principe des aménagements possibles. Sont livrés, également la façade du bâtiment, l’ensemble des gaines techniques (arrivées d’eau et électriques) …
LM : Le volume capable est aussi développé dans d’autres lots de Brazza. C’est un moyen de ne pas « finir » le logement (dans le sens de niveau de définition) et d’accompagner les usages des futurs ménages.
– Quel est l’avantage de faire du volume capable et, en particulier, dans le cas d’habitat participatif ?
LM : D’abord, cela permet à chacun d’aménager son volume et cela va du logement livré avec la cellule minimum aux logements avec des finitions. Mais cela permet aussi de baisser le coût d’investissement pour les habitants et de faire des logements selon leur niveau de solvabilité. La maîtrise d’ouvrage, à savoir Le Col, a identifié les futurs habitants, qui ont participé au projet. Les 20 logements sont financés en Prêt Social Locatif-Accession (PSLA) ce qui suppose que les habitants sont d’abord locataires et peuvent, au bout de quelques années acheter leurs logements s’ils le souhaitent, le peuvent etc. Ici, la complexité supplémentaire est que c’est de l’habitat participatif qui a nécessité un véritable travail de couture et de minutie.
Tous les habitants étaient donc identifiés depuis le début du projet et nous avons ensuite travaillé avec chacun d’eux pour proposer des volumes compatibles avec leurs budgets et leurs attentes. Les logements se sont adaptés aux capacités d’investissement des ménages, et non l’inverse ! Bien sûr, il y a des aléas, propre au caractère participatif, car le temps de la vie des gens n’est pas le même que celui de la conception et des chantiers : des couples peuvent se séparer ou alors l’un peut trouver un nouveau compagnon… Et c’est arrivé !
– Un véritable travail de puzzle donc… et à quoi ressemble les logements ?
LM : Le projet est donc composé de 3 étages de parkings, avec un rez-de-chaussée à 3,5m puis de deux niveaux de logements, qui sont répartis dans deux grandes galeries. Cela forme deux grands corps disposés en parallèle, comme de grandes maisons de chaque côté, avec des plateaux libres de toute construction, qu’on vient redécouper à l’intérieur. La structure est métallique, en ossature bois. Les galeries ont des toits de volumes capables en pente qui permettent de conserver des volumes généreux et de créer des compositions en duplex, souplex… Pour plus de fonctionnalité, nous avons prévu des fenêtres de 2,40m afin que les mezzanines ne viennent pas les entrecouper.
Tous les principes de conception ont été soumis à l’approbation des habitants. Par exemple, le troisième étage à une hauteur sous plafond à 2,80m, qui permet de dégager des hauteurs pour les logements du quatrième.
– J’imagine que vous devez tout de même anticiper la composition intérieure les logements, l’emplacement des pièces, ne serait-ce que pour situer les gaines techniques…
LM : En effet, les pièces d’eaux et cuisines sont plus ou moins déterminées à l’avance, mais en concertation avec les futurs acquéreurs. En général, la pièce d’eau et à côté l’évier de la cuisine… On a ensuite un travail d’anticipation sur les usages. Au sein de la halle, on utilise des cloisons légères et solides pour séparer les logements suivant la surface qu’ils peuvent s’acheter. Nous travaillons avec la maîtrise d’ouvrage pour remettre un guide aux habitants à leur entrée dans les lieux pour assimiler les règles et comprendre les principes de construction.
La personnalisation des logements suppose également un jeu d’équilibriste entre du « trop atypique », car les logements le sont déjà en partie, et parce qu’il faut laisser au logement la possibilité d’être transmis.
– Et sur la question du parking ? Avez-vous connu des difficultés par rapport à l’acceptabilité du projet : habiter au-dessus d’un parking aurait pu en rebuter certains ?
LM : Le Col (maîtrise d’ouvrage) a beaucoup communiqué avec les habitants, ainsi que nous. Il faut imaginer que nous habitons au-dessus de parkings enfouis la plupart du temps. Ici, le parking est totalement transparent et est ventilé naturellement.
Par ailleurs, les logements ont une forte qualité par tout le travail paysager qui accompagne le projet : la desserte principale se fait par un patio central paysagé. On parle d’un « rez-de-jardin », même. Les logements du quatrième niveau ont des petits jardins de 9m². Mais surtout, tous les habitants ont accès à une large terrasse partagée de 900m², qui leur appartient (le syndic est en cours de création). On a de la pleine terre et les habitants ont souhaité avoir un jardin potager. Une partie de la terrasse partagée, à l’étage, est couverte. Les habitants partagent également une salle commune au rez-de-chaussée. Un studio est aussi prévu et partagé pour servir de chambre d’ami.
– Sur ce projet et le volume capable, quel est votre retour d’expérience ?
LM : La richesse du volume capable, c’est de créer des conditions d’habitat singulières, d’offrir du choix et de la place aux souhaits de chacun. Sur ce projet, en particulier, on avait plusieurs sujets à résoudre (qui sont des « gros » sujets en soi). D’abord, faire des logements au-dessus de parkings silos a poussé à avoir un concepteur unique, sous maîtrise d’ouvrage de Le Col. Les places sont ensuite revendues au prorata et accessibles aux 188 logements de l’ensemble de l’îlot. Ensuite, le volume capable consiste à concevoir un volume brut mais à anticiper des usages et des projections. L’habitat participatif a permis un processus de concertation tout au long du projet, tout en nécessitant un équilibre avec la personnalisation des logements. Plus personnellement, nous avons créé des liens forts avec les habitants.
SR : On ne parle plus de mètres carrés pour une typologie mais de surfaces en volume capable et donc on rentre dans le logement par les usages, où s’ouvre tout un champ des possibles.
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