51 sites ciblés, 420 candidats mobilisés, 2,1 millions de m2 développés : la première édition d’Inventons la Métropole du Grand Paris, lancée fin 2016, s’est achevée en octobre dernier avec l’annonce des groupements lauréats. Après l’effervescence suscitée par cette consultation hors du commun et avant le lancement de la seconde édition, CITY LINKED s’est plongée dans les projets lauréats pour repérer les tendances programmatiques innovantes les plus marquantes. Nous en avons retenu cinq. Décryptage.
Au-delà de la qualité architecturale et de la charge foncière du projet, c’est l’innovation qui a été retenue par la Métropole du Grand Paris comme le principal critère de sélection des offres de la consultation, dans la continuité de « Réinventer Paris ».
Les candidats étaient ainsi appelés à faire preuve d’inventivité pour innover dans tous les champs couverts par les projets : urbanisme, construction, développement économique, qualité environnementale, mobilité…
Face à ces exigences, les groupements ont apporté des réponses renouvelées sur le plan des modes de faire[1], des procédés techniques et des programmes. C’est sur ce dernier volet que nous avons souhaité nous pencher plus avant. Parmi la profusion d’idées soumises, quelles propositions programmatiques innovantes et crédibles retenir ?
Nous avons, pour répondre à cette question, étudié les éléments fournis par l’exposition des projets au Pavillon de l’Arsenal ainsi que l’ouvrage présentant les 153 projets finalistes. Cinq tendances programmatiques innovantes se dégagent selon nous des propositions des candidats. Quelles sont leurs conditions de réussite ? Leurs éventuelles limites ? Autant d’interrogations qui ont guidé notre analyse des projets retenus.
1. Tendance n°1 : la diversification des modes d’habiter et de travailler
Mobilité accrue, développement du travail indépendant : afin de répondre aux exigences des modes de vie contemporains, de nombreux candidats ont proposé des programmes de co-working et de co-living, a priori plus flexibles que les programmes résidentiels et tertiaires classiques.
Ce choix n’a cependant pas été exclusivement motivé, à notre avis, par des raisons sociétales. Si le cahier des charges adressé aux candidats était le plus souvent très ouvert, certains décideurs locaux avaient en effet fixé pour règle du jeu de limiter la proportion de logements dans les projets. À cet égard, le co-living, en tant que résidence gérée, présente l’avantage de pouvoir être administrativement assimilé à une surface d’activité et non de logement. De la même manière, le recours aux tiers-lieux a permis aux candidats de développer des surfaces tertiaires sans qu’un preneur n’ait préalablement été identifié, comme cela est désormais l’usage pour les bureaux « classiques ».
Au-delà de leur capacité à promouvoir de nouveaux modes d’habiter et de travailler tout en animant les quartiers, le co-living et le co-working constituent donc des moyens habiles d’ajuster la programmation aux attentes des élus. C’est sans doute ce qui explique, pour partie au moins, que 7 projets lauréats proposent un programme de colocation ou de co-living et pas moins de 27 projets lauréats, soit 60% d’entre eux, un espace de co-working, un incubateur ou une pépinière d’entreprises.
Maintenant qu’émerge une vision globale de l’ensemble des surfaces développées sur les projets lauréats, on peut légitimement s’interroger : la demande envers ces nouveaux programmes n’a-t-elle pas été surestimée ? D’autant que ces surfaces, bien souvent réduites car conçues dans une perspective d’optimisation de l’espace, ne tiennent pas forcément leurs promesses en termes de qualité de vie – et ce en dépit du discours commercial porté par les opérateurs.
2. Tendance n°2 : l’hybridation des programmes culturels et de loisirs
Si la mixité des programmes semble s’être imposée comme l’une des exigences incontournables dans tous les projets, elle est particulièrement visible dans le cadre des projets culturels et de loisirs. Ceux-ci prennent désormais la forme de pôles multifonctionnels, associant des espaces événementiels à des lieux de formation, de production et de travail, des ateliers d’artistes, des activités sportives, des espaces de restauration, voire des logements, à l’instar des 52 000 m² SDP déployés par la Compagnie de Phalsbourg sur le site Babcock à La Courneuve.
L’enjeu, pour les candidats, était de parvenir à convertir ces emprises en véritables lieux de destination. D’où la carte de la mixité jouée par les opérateurs afin de générer les flux indispensables au succès du projet : associer des programmes commerciaux, culturels et de loisirs permet de multiplier les publics visés et les modes d’occupation tout en garantissant une activité constante – en journée et le soir, la semaine et le week-end – ce que les équipements traditionnels peinent à faire.
3. Tendance n°3 : la mutualisation des espaces et des solutions de mobilité
En matière de mobilité, l’essor des plateformes collaboratives comme Blablacar et Uber a fait progresser la notion d’usage par opposition à celle de propriété.
Avec Inventons la Métropole du Grand Paris, les acteurs de l’immobilier se sont appropriés ce nouveau paradigme en proposant des systèmes de mutualisation de flottes de véhicules ou de vélos – électriques ou non – à l’échelle d’une copropriété ou d’un quartier. Les opérateurs ont en outre répliqué ce modèle aux surfaces immobilières.
En effet, cette tendance à la mutualisation semble répondre à des besoins avérés. La propriété – d’une voiture ou d’une chambre d’amis – étant associée à des coûts que de nombreux urbains ne peuvent désormais plus assumer, la mise en commun contribue sans aucun doute à améliorer la qualité de vie des résidents.
De nombreux projets incluent ainsi des terrasses, des jardins ou des potagers à partager entre voisins, mais aussi des espaces intérieurs mutualisés, de type salle des fêtes ou pièce d’appoint à utiliser comme bureau ou chambre d’amis.
Ces nouvelles pratiques sont toutefois assez récentes et tranchent avec les « modes d’habiter » les plus répandus en France. Le pari de la mutualisation ne sera donc gagné que si ces pratiques parviennent à s’imposer dans le temps. La question de la gestion de ces espaces, notamment, appelle à une certaine vigilance. Comment s’assurer, par exemple, qu’une pièce d’appoint sera correctement entretenue, qu’elle ne suscitera pas de conflits d’usages, et à terme, comment empêcher qu’elle ne soit revendue par les copropriétaires pour un usage privatif ?
4. Tendance n°4 : l’animation de quartier et les nouveaux services de proximité
Promoteurs et élus semblent partager la conviction selon laquelle les habitants d’une ville ne recherchent plus seulement un logement, mais plutôt un cadre de vie spécifique. Les porteurs de projet sont donc à la recherche de services de proximité porteurs de qualité de vie, d’animation de quartier, voire d’un sentiment d’appartenance – qui vont permettre de différencier le programme immobilier. La dimension servicielle des projets urbains devient ainsi centrale.
Concrètement, cette ambition s’est très souvent traduite dans la consultation par l’introduction de conciergeries, ces espaces physiques ou virtuels qui concentrent une offre de petits services quotidiens de type réception de colis, épicerie, réservation des espaces mutualisés du quartier, services rendus entre les habitants, etc. 20% des projets lauréats en proposent une.
Conscients de la valeur ajoutée potentielle de ces conciergeries en termes de vie de quartier et de solidarité entre les habitants, les promoteurs immobiliers proposent le plus souvent de financer leur fonctionnement pendant les 3 à 5 premières années de vie du projet. À l’issue de cette phase de « décollage », ces espaces ne pourront donc perdurer qu’à condition d’avoir trouvé un modèle économique durable.
La gestion et l’animation de ces espaces sont le plus souvent confiées à des sociétés spécialisées, du type La Conciergerie Solidaire, Quatre Épingles, Allo Bernard ou Lulu dans ma rue. Ces structures, qui se sont multipliées récemment, sont devenues des partenaires réguliers des groupements candidats.
Si leur apport – notamment pour celles qui sont issues de l’économie sociale et solidaire (ESS) – peut être très positif, l’un de leurs enjeux majeurs pour l’avenir sera d’établir des interactions positives avec le tissu associatif local, déjà engagé dans l’animation de ces quartiers.
5. Tendance n°5 : la généralisation de l’agriculture urbaine
C’est la tendance la plus massive, ou du moins la plus visible, qui émerge de cette consultation. Présente dans 60% des projets lauréats, l’agriculture urbaine fait incontestablement l’objet d’un fort engouement de la part des opérateurs et des élus. Preuve supplémentaire de son succès, les structures spécialisées dans la conception, le développement et l’exploitation de ces programmes se sont multipliées ces dernières années. On en dénombre près de 25 au sein des groupements lauréats.
Dans le même temps, parce qu’elle est omniprésente – particulièrement dans les images de synthèse produites par les candidats – l’agriculture urbaine cristallise le scepticisme d’un grand nombre d’observateurs. Alors, l’agriculture urbaine, véritable atout pour les projets ou proposition « cosmétique » et « greenwashing » ?
Si elle peine en général à assumer une véritable fonction nourricière – seuls deux projets à Montreuil et à Morangis, avec des surfaces cultivables supérieures à 6 000 m², y parviennent – ses externalités positives sont nombreuses : composante de l’aménagement paysager, outil pédagogique, vecteur d’interactions sociales, support de loisirs…
Pour tenir ses promesses, l’agriculture urbaine devra faire ses preuves dans le temps, et ce, quelle que soit sa forme : potagers, serres, au sol, en terrasse ou sur les toits. La pérennité de ce modèle dépendra de sa capacité à trouver sa rentabilité, marchande ou non et, surtout, de l’appétence réelle des habitants pour ces programmes.
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Cette première édition d’Inventons la Métropole du Grand Paris a permis de faire émerger des projets dont le niveau d’ambition est globalement supérieur à ce qui aurait pu être proposé dans un cadre plus classique. Ceci est particulièrement vrai pour les terrains complexes, dont l’attractivité a été mise en lumière par la consultation.
L’appel à innover en matière d’usages et de programmes lancé par la Métropole a bien été entendu par les candidats, qui ont formulé des propositions très porteuses. Celles-ci devront toutefois démontrer leur pertinence sur le long-terme. Sans doute celles qui ont été imaginées en tenant compte de l’ancrage local du projet et de la diversité du profil des futurs usagers seront-elles les mieux armées pour résister à l’épreuve du temps.
[1] Avec des propositions innovantes en termes de concertation, d’animation ou de co-conception notamment.