© Flickr Marco Verch CC BY-SA 2.0

Lors de son allocution du lundi 16 mars, Emmanuel Macron a reporté le second tour des municipales, se faisant ainsi l’écho des demandes de l’ensemble de la classe politique (Le Monde), tandis que la Loi d’urgence pour faire face au Covid-19 adoptée le 22/03/2020 par le Parlement a fixé à la deuxième quinzaine de juin la date de report pour le second tour. C’est la remise d’un rapport par le Comité sanitaire à l’Exécutif à la mi-mai qui pourra déterminer s’il est possible ou non d’organiser le second tour des élections, en fonction de la réalité sanitaire. En cas de risque trop important et de nouveau report de l’échéance électorale, hormis pour les 86% des communes de France et 64% de la population pour lesquelles le premier tour a été conclusif  (Le Monde), le premier tour sera annulé pour le reste des communes, et c’est l’ensemble du dispositif électoral qui devra être organisé à nouveau. Les maires élus au premier tour devront, quant à eux, attendre la fin de la situation pour prendre officiellement leurs fonctions. Dans l’attente, les anciens mandats sont prolongés.

Sans perdre de vue le caractère inédit de ces élections municipales, la part d’inconnu qui en résulte ainsi que l’abstention record au premier tour dans un contexte de crise sanitaire, il est néanmoins possible de lire quelques tendances dans les rapports de forces politiques. Au-delà de ces résultats, certains enjeux impactant directement le monde de l’urbanisme ont animé la campagne, sur lesquels nous nous proposons de revenir brièvement ici. Enfin, plusieurs « grands absents » des programmes, pourtant souvent cruciaux dans nos pratiques professionnelles, peuvent également être mis en lumière. Que nous apprend ce premier tour des élections municipales sur les forces politiques en présence, et quels grands enjeux soulève-t-il pour l’aménagement du territoire?

De nouveaux rapports de force politiques ?

Succès des écologistes : en tête des suffrages avec 46,7%, le maire sortant de Grenoble a confirmé son assise dans la première grande ville écologiste de France. Les bons résultats d’Europe Ecologie Les Verts (EELV) se lisent également à Strasbourg avec une tête de liste en tête des suffrages (27,8%), ou encore à Rennes (25,4%) ou à Lille (24,5%), où les listes écologistes arrivent en deuxième position. La stratégie de rapprochement avec les socialistes menée par EELV a permis aux listes communes d’arriver en tête à Tours (35,5%) et à Poitiers (28,2%), ainsi qu’en deuxième position à Bordeaux (34,56% très proche de la liste LR créditée de 34,55%). Mais la véritable percée se fait à Lyon, où Gregory Doucet récolte entre 28 et 29% des suffrages dans les 9 arrondissements, détrônant ainsi le bastion de Gérard Collomb, et amenant Le Monde à parler d’un « séisme politique ».

Difficultés pour La République En Marche (LREM) : le premier suffrage local pour LREM est apparu comme une déconvenue généralisée. A la tête de listes communes rassemblant plusieurs partis de droite, Edouard Philippe se hisse en tête des suffrages au Havre (43,6%), Gérald Darmanin parvient à se faire réélire dès le premier tour à Tourcoing (60,89%), au même titre que Franck Riester à Coulommiers (58,85%). Mais dans de nombreuses grandes villes, le parti présidentiel n’arrive qu’en troisième position (Paris, Lille ou Bordeaux), quand il ne réalise pas des scores inférieurs à 10% comme à Marseille ou à Toulon. Au-delà des dissidences entre candidats comme à Paris ou à Lyon et d’un vote sanction contre le parti présidentiel, le manque d’ancrage local de LREM explique en partie ces résultats.

Affirmation des bastions Rassemblement National (RN) : en plus de maintenir les candidats sortants dès le premier tour dans les bastions historiques de Beaucaire, Béziers, Fréjus et Hénin-Beaumont avec le score triomphal de 74% pour le maire sortant, le parti de Marine Le Pen réalise de bons scores dans plusieurs autres communes comme Moissac (47%), Bruay-la-Buissière (38,6%) ainsi que Perpignan (35,7%), soit la potentielle première grande ville à passer sous l’égide du parti d’extrême droite.

Maintien des partis historiques : après leur déroute respective aux élections présidentielles et législatives de 2017, ainsi que de faibles scores aux européennes, les partis historiques de la droite (Les Républicains) et de la gauche (Parti Socialiste) sont parvenus à maintenir leurs bastions électoraux, à l’image de François Baroin à Troyes (66,8%), Christian Estrosi à Nice, ou Joëlle Ceccaldi-Raynaud, réélue dès le premier tour avec 65% des suffrages à Puteaux pour Les Républicains (47,6%). La bonne position d’Anne Hidalgo à Paris (29,3%), celle de Martine Aubry à Lille (29,8%) ou encore de Johanna Rolland à Nantes (31,4%) amènent au même constat pour le parti socialiste : forts d’un appareil politique solide, les partis historiques ont réussi à se maintenir dans le cadre d’élections locales offrant la part belle aux maires sortants, et dans un contexte de crise sanitaire ayant potentiellement suscité une demande de stabilité et de continuité pour de nombreux électeurs votants.

Quels enjeux phares pour l’aménagement du territoire?

Parmi les enjeux phares ayant animé la campagne, plusieurs d’entre eux interpellent directement l’aménagement du territoire. Un bref rappel de ces derniers permet de dresser le cadre dans lesquels s’organiseront les futurs débats politiques à l’échelle locale, et de ce fait, les prochains projets d’aménagement.

Densification et qualité de vie : tout particulièrement au sein des territoires métropolitains, les enjeux urbanistiques de la campagne se sont cristallisés autour de la question suivante : engager des démarches de construction pour produire du logement et soutenir le développement économique, ou préserver des espaces de respiration au sein des dernières dents creuses ? L’abandon du projet du TEP Ménilmontant (Le Parisien) ou la remise en question du projet de Bercy Charenton à Paris (Le Monde) révèlent combien cette opposition suscite une vive attention politique. Alors que l’espace manque au sein des communes denses mais que les besoins en logements y sont plus forts que partout ailleurs, les élus locaux s’engageront-ils dans de nouveaux projets d’aménagement, au risque de froisser une partie de leur électorat? Quoi qu’il en soit, la stricte opposition entre opérations de construction prétendument irraisonnées et maintien indéfectible des espaces verts occulte un autre mode d’intervention, à savoir le réinvestissement de l’existant, dans une logique d’équilibre et de requalification, pour créer des territoires plus durables, plus équilibrés, plus accessibles.

Crise du logement et marché résidentiel : dans un cadre législatif contraint (loi SRU, SCoT etc.), la crise du logement et l’augmentation des prix de l’immobilier semblent irrémédiables pour les territoires métropolitains. L’ensemble des candidats se sont positionnés en la matière et un consensus apparaît quant à la nécessaire intervention de la puissance publique pour réguler le marché. Cependant, les moyens mobilisés pour y parvenir diffèrent largement : respect des normes de logements sociaux ou dépassement du seuil minimum, aide financière aux ménages ou intervention directe via la création d’Offices Fonciers Solidaires (OFS), interdiction d’AirBnB ou régulation de l’offre… Les réponses apportées par les futures équipes municipales impacteront directement le marché de la construction au sein des territoires ainsi que les outils à mobiliser.

Mobilités douces et accessibilité automobile : si la promotion du vélo fonctionnait comme dénominateur commun pour l’ensemble des candidats durant les premières heures de la campagne, cet enjeu a progressivement disparu de nombreux programmes (Le Monde). Dans le même temps, à l’heure du dispositif « Action Cœur de Ville » visant à pallier le dépérissement de nombreuses villes moyennes, plusieurs candidats ont fait de l’accessibilité automobile aux commerces centraux le fer de lance de leur campagne, rappelant l’argument historique de nombreux commerçants : « No Parking no Business ». Dans un contexte d’urgence climatique, et alors qu’une démarche emblématique comme la piétonnisation des voies sur berges suscite aujourd’hui l’approbation générale, quelles seront les prises de position des territoires en matière de mobilités douces ? Qui plus est, la crise sanitaire actuelle et les contraintes que nous connaissons dans nos déplacements questionnent nos pratiques quotidiennes, ainsi que la répartition des fonctions au sein des territoires, notamment dans les distances entre nos lieux de vie et de travail.

Environnement et circuits courts : à l’heure du changement climatique et dans le contexte du paradigme de « Zéro Artificialisation Nette », les questions environnementales suscitent l’intérêt de la majorité des candidats qui n’hésitent pas à « verdir » leur programme. Initialement réservées aux candidats écologistes et socialistes, les cantines bios surgissent aujourd’hui chez de nombreux candidats LREM ou RN (Huffington Post). Plus largement, la question des circuits courts et de l’approvisionnement en produits alimentaires, de dépenses énergétiques dans les chantiers ou d’usages de matériaux renouvelables sont autant d’enjeux aujourd’hui prégnants dans le monde de l’aménagement (Reinventing cities), et qui se poseront dès demain avec une plus grande acuité encore.

Et les absents des débats ?

Non exhaustifs, ces enjeux ont directement été mobilisés par les candidats et devront trouver demain une réponse concrète au sein des territoires. Certaines questions demeurent quant à elles globalement absentes des débats, bien qu’elles soient pourtant cruciales pour le quotidien des acteurs de l’aménagement.

Modalités de la participation citoyenne : au-delà du contexte actuel, la hausse continue de l’abstention pour les élections municipales questionne le lien qu’entretiennent les populations avec les instances de démocratie directe. Plus largement, l’homogénéité des publics lors des instances de concertation dans les projets d’aménagement rappelle combien il est nécessaire de questionner les modalités de la participation citoyenne à l’aménagement du territoire, qui plus est à l’heure du développement des outils numériques et d’une forte demande des populations pour une meilleure inclusion et un réel pouvoir de décision.

Périmètres de gouvernance et institutionnels : hormis pour la question du logement où certains candidats ont plaidé pour une action métropolitaine, le Grand Paris est resté absent de la majorité des programmes. Après plusieurs décennies de montée en puissance de l’intercommunalité, la loi Engagement vie locale et action publique de proximité du 27 décembre 2019 est venue renforcer le rôle du maire vis-à-vis des Etablissements Publics de Coopération Intercommunale (EPCI), en dehors de la Métropole du Grand Paris ou la gouvernance institutionnelle est plus complexe. Dès lors, la question de l’échelle d’intervention pertinente pour une action publique cohérente apparaît fondamentale, tant pour le bon fonctionnement des territoires que pour la vie quotidienne des populations.

Droit à la Ville et Ville Inclusive : alors que la gentrification ne cesse de croître dans les territoires métropolitains, confrontés à une crise migratoire et un nombre toujours plus important de S.D.F, les enjeux d’aide aux populations les plus fragiles sont globalement restés à l’écart de l’ensemble des débats pour les élections municipales. Un autre enjeu manquant à l’appel est celui de la parité dans les instances de décision et de l’égalité femmes/hommes, alors qu’en 2014 en l’Île-de-France, les femmes ne représentaient que 45% des conseillères municipales, 20% des maires et 3% des présidents d’EPCI (Institut Paris Région).

Si les résultats des élections municipales sont loin d’être arrêtés pour de nombreux territoires et que les alliances politiques futures sont absolument secondaires dans un contexte de crise sanitaire, l’aménagement du territoire ne manquera pas d’être impacté par ce renouvellement des équipes municipales et les professionnels se doivent d’y être préparés. Nombreuses sont les promesses pour questionner et réinventer notre modèle de société à l’issue de la crise sanitaire, saurons-nous en faire autant pour aménager nos territoires ?

Focus Métropole du Grand Paris :

Au sein des 130 communes de la Métropole du Grand Paris (MGP) hors capitale, plus de la moitié des communes n’auront pas besoin d’organiser un second tour (66 communes soit 51%) Parmi ces communes, c’est majoritairement suite à la réélection du maire sortant que s’est soldé le premier tour (58 communes, soit 45% de l’ensemble). Propre aux élections locales, l’avantage des maires sortants bénéficie ici très largement aux divers partis de la droite. Initialement majoritaires au sein des communes de la MGP (71 communes soit 55%), les maires issus de la droite représentent 64% des réélections dès le premier tour (42 communes). A Courbevoie, Argenteuil ou Rueil Malmaison, les maires sortants sont en tête avec plus de 45% des suffrages. Sans bouleversements profonds d’ici le second tour et au-delà des communes historiquement à gauche où le maire sortant arrive en tête (Vitry-sur-Seine 46%, Créteil 45%, Sevran 45%), il apparaît certain que la droite maintiendra une place prépondérante au sein des communes de la Métropole, si ce n’est renforcée.

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